Avis de Tahafut ad-djahlat : "Monument"
L'Opération Walkyrie est un épisode connu et assez bien documenté dans l'historiographie. Le témoignage laissé par P. F. von Boeselager est court et paraîtra lacunaire à qui aime les descriptions minutieuses et les enquêtes historiques qui sacrifient à la contextualisation et à l'érudition. Ce livre est le témoignage d'un homme âgé, au style net, à qui la fréquentation du public a intimé l'ordre d'être bref. Et il se peut que cette exigence des générations actuelles se marie assez bien avec son tempérament vif et dynamique. On peut cependant regretter l'absence totale d'iconographie dans l'édition de poche.
L'absence de cartes (notamment du Front de l'est) et de photographies permettant aux jeunes lecteurs de comprendre à qui il a affaire (les régiments de cavalerie de la Wehrmacht sont mal connus du public, habitué à la gloriole des unités motorisées de l'époque) est sans doute un défaut majeur de ce livre. Il faut se contenter de la belle photographie de couverture, assez suggestive, où se superposent la physionomie du dictateur et celle du jeune officier, que tout oppose.
Le récit qui ouvre le livre est essentiel: toute prise de conscience rapide capable de pousser aux actions dangereuses est préparée par des années d'éducation, où se mêlent l'étude, l'instruction reçue en famille, et les périodes de rêverie et de loisir - les pages consacrées à la nature et à la chasse sont très nombreuses, et ce n'est pas de l'encre perdue.
L'auteur prend soin d'expliquer quels furent les antidotes moraux et spirituels puissants qui le tinrent à l'écart de l'adhésion au parti nazi, et qui lui firent toujours tenir en horreur la mentalité de parvenus et de criminels qui animait Hitler et les SS. Bien des orientations du régime, comme ses décisions les plus meurtrières sur le Front de l'est, sont mises sur le compte d'une détestation de l'ordre ancien que représentent aussi bien l'aristocratie allemande que la discipline et la morale prussienne, dont l'auteur relève la permanence dans quelques personnalités marquantes fréquentées dans les états-majors de la Wehrmacht.
On trouvera là une esquisse très intéressante de la psychologie de l'officier et d'une part de l'armée allemande, dont l'auteur ne se désolidarise jamais. Même aux moments les plus cruciaux du complot, aucun ne songe à autre chose qu'à la préservation des hommes qu'il commande. Les portraits des personnalités exceptionnelles, au premier rang desquelles celle de Tresckow, sont très convaincants et propres à restaurer chez le lecteur français l'estime qu'il peut avoir pour des membres d'une armée ennemie. Les commentaires de lecteurs sur Amazon témoignent de cette incompréhension... Et à la lumière de cette lecture, la photographie de couverture semble annoncer un duel entre méchants, alors qu'il n'en est rien ! La courte postface, écrite par la nièce de l'auteur, rappelle que l'œuvre avortée que fut l'Opération Walkyrie est née d'une inspiration familiale et spirituelle profonde. Ce livre peut se lire comme un musée de l'honneur d'une fratrie, que l'auteur nous invite discrètement à retrouver dans tout un pan du peuple allemand.
Pour connaisseurs Peu d'illustrations Plan chronologique
Note globale :
Par Tahafut ad-djahlat - 2 avis déposés - lecteur occasionnel
mercredi 22 février 2017