Avis de Zaynab : "Un peu d’inclusion éloigne du handicap, beaucoup d'inclusion y ramène"
Rappelons que Jaurès avait écrit : « Un peu d'internationalisme éloigne de la patrie; beaucoup d'internationalisme y ramène ». Hugo Dupont a livré au Presses universitaires de Grenoble trois ouvrages dont deux sur les ITEP qui accueillent des enfants ayant de sérieux troubles de comportement. Il a obtenu le Trophée Handicap Recherche 2020 pour son projet La déségrégation des enfants handicapés. Vers une désinstitutionnalisation du handicap ?. Son ouvrage Désintégration et accompagnement total, sous-titré Sur la progressive fermeture des établissements spécialisés pour enfants handicapés est donc un compte-rendu de son sujet de recherche.
L’auteur commence par rappeler que durant les années qui précédèrent et suivirent Mai 68, les établissements spécialisés étaient largement critiqués tant par leur dimension ségrégative que pour leur fonction de surveillance‑correction et notamment par Michel Foucault et Jacques Donzelot.
La notion de projet de vie se trouve dans la loi du 11 février 2005 lorsqu’il est question du plan de compensation de la personne handicapée.La circulaire du 2 mai 2017 est paru entre les deux tours de l’élection présidentielle, la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, qui en porte la responsabilité était Ségolène Neuville, médecin au service de maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de Perpignan. Elle fut élu député de la circonscription occidentale des Pyrénnées-Orientales en 2012 et ne fut pas réélu en 2017. Le texte n’étant pas reproduit dans l’ouvrage qui nous intéresse, on le trouvera là https://handicap.gouv.fr/IMG/pdf/circulaire_du_2_mai_2017_transformation_de_l_offre.pdf.
Plus récemment les directives européennes de l’ONU et de l’OMS ont invité à « La désinstitutionnalisation des enfants handicapés et leur vie au sein de la collectivité ». L’auteur s’intéresse aux structures de l’accompagnement des enfants handicapés au sein du secteur dit médico‑éducatif. Celles-ci sont au nombre de cinq : IME (déficience intellectuelle), ITEP (troubles de comportement), IEM (problèmes moteurs), IES (déficience auditive ou visuelle) et établissements pour polyhandicapés (on compte d’ailleurs actuellement une naissance de polyhandicapé pour 1 000 en France).
Hugo Dupont s’attache dans le premier chapitre à la description du contexte dans lequel se met en place une orientation découlant du texte de mai 2017. On voit comment se manifeste un souci d’horizontalisation et d’individualisation des accompagnements.Dans ce cadre est évoqué le Dispositif d’orientation permanent (DOP).
Le deuxieme chapitre est consacrée à une observation de terrain, afin de pointer dans deux départements (peut-être la Vienne et les Deux-Sèvres) comment cette réforme est mise en œuvre, donc les les changements qu’elle produit. Dans un troisième chapitre, on approche le retour ou le maintien à l’école ordinaire d’élèves orientés auparavant en établissements spécialisés. Les Unités d’enseignement externalisées (UEE) sont là pour répondre à leurs besoins.
Le quatrième chapitre interroge sur la réelle écoute des désirs des parents dans les choix d’orientation. Hugo Dupont démontre enfin que les discours politiques et administratifs autour de l’avènement d’une sociéte inclusive grâce a une politique volontariste de déségrégation renvoient à des réalités assez éloignées de l’idéal proclamé.
Rappelons que les trois plus grandes associations gestionnaires d’EMS pour enfants en France sont : l’ADAPEI (présente dans tous les départements en France), l’APAJH et les PEP. L’auteur a interrogé leurs représentants et ceux d’associations plus petites (parfois très locales et à l’avenir incertain) sur la façon dont ils s’adaptaient au nouveau contexte.Il y a un certain consensus pour relever qu’à une époque de concertation avec l’administration des affaires sociales a succédé un moment d’injonctions venant des Agences régionales de santé. Il y a un vaste mouvement de réadaptation et de standardisation de l’offre médico-sociale avec un accent mis sur la prévention afin d’éviter trop d’orientations vers des structures spécialisées.
Nombre de lecteurs apprendront l’existence des Unités d'enseignement externalisée (UEE),apparues dans la circulaire n° 2003-135 du 8 septembre 2003 et très progressivement ouvertes. Elles sont à destination d’enfants présents dans un établissement spécialisé, doivent accueillir au moins six élèves pendant au minimum douze heures hebdomadaires dans une salle propre d’un établissement scolaire. Elles ont cinq objectifs :
≪ – Une diversification du panel de l’offre de scolarisation et une plus grande fluidite dans les parcours de formation proposée aux élèves en situation de handicap ;
– Un accroissement du nombre d’heures de scolarisation des élèves accueillis en ESMS;
– L’affirmation d’un enseignement adapté, tenant compte des besoins d’accompagnement des élèves, en référence aux programmes de l’Education nationale et permettant d’assurer les apprentissages scolaires et le developpement de l’autonomie et de la socialisation ;
– Un enseignement professionnel intégrant l’initiation et la premiere formation professionnelle ;
– Une intensification de la coopération entre l’Education nationale et le secteur médico‑social au bénéfice des enfants accompagnés≫ (page 119).
La présence en intégration se fait avec des élèves sur le mode du chantage au comportement et de plus il est possible que leurs camarades de classe les plus en difficulté scolairement goûtent fort peu le ton de réprimande d’un enseignant à leur propre égard face à un échec devant un exercice, alors que pour la même absence de réussite le jeune venant d’établissement spécialisé se voit encouragé et aidé (page 132). « Loin d’être remise en cause, la forme scolaire traditionnelle est légitimée et hissée au rang d’horizon a atteindre. Sous le vocable inclusion individuelle ou par l’intermédiaire d’une UEE, ce qui est proposé à ces jeunes est en réalité une formation par alternance au métier d’élève qui peut s’interrompre à tout moment sur décision de l’équipe de professionnels des UEE et des établissements spécialisés : ces jeunes sont ainsi placés dans une période d’essai permanente » (page 137).
L’objectif a été l’augmentation à 50 % du taux de scolarisation à l’école des enfants accompagnés en établissements spécialisés en 2020, et à 80 % dans l’avenir. La politique de deségrégation des enfants handicapés entend répondre aux souhaits émis par certaines associations de défense de personnes handicapées et au manque de places dans les établissements spécialisés. « Mais aucune réflexion n’est menée sur : ce que signifie être handicapé pour un individu ; la stigmatisation engendrée par une telle étiquette ; l’assignation identitaire ainsi produite ; la place occupée par les personnes handicapées dans la société qui n’est pas que formelle (en établissement specialisé ou a l’école ordinaire) mais aussi symbolique et negociée quotidiennement. (…) Etre inclus ne signifie pourtant pas simplement être dedans. Une telle conception prend le risque de proposer aux personnes handicapées, au mieux, "une intégration en suspens", au pire, une exclusion de l’intérieur ce qui est une autre forme de ségrégation, plus symbolique certes, mais bel et bien réelle » (page 201).
Pour connaisseurs Aucune illustration