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Port-Arthur 8 février 1904 - 5 janvier 1905

Port-Arthur 8 février 1904 - 5 janvier 1905
Economica 125 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "Quand les Russes font appeler Arthur un port, ils se font appeler Arthur par les Japonais"

"Port-Arthur 8 février 1904 -5 janvier 1905" est un ouvrage de Bruno Birolli. Il est remarquable dans la mesure où il explique à la fois que dans la guerre russo-japonaise on trouve nombre de caractéristiques de la guerre des tranchées à venir sur le continent européen dix ans plus tard, combien l’attaque de Port-Arthur sert de modèle un tiers de siècle plus tard à l’attaque de Pearl Harbor (avec une victoire finale en 1905 qui empêche les militaires japonais d’analyser leurs faiblesses dans leur menée des opérations au début du conflit) et quel jeu diplomatique se joue en Chine de la fin du XIXe siècle aux années 1930.

En 1905 France, Russie et Allemagne se regroupent dans un camp alors que l’Angleterre et le Japon sont leurs adversaires et les États-Unis dans leur intérêt se font les défenseurs d’une intégrité territoriale la Chine (et y gagnent une forte popularité auprès des Chinois). Ceci n’avait sûrement pas échappé à Danrit (le colonel Driant, nous avons fait le compte-rendu que Jean Mabire lui a consacré) quand il écrit "L’invasion jaune". En effet il fait dire à Guillaume II dans cet ouvrage de politique fiction :

« C’est alors qu’il fallait maintenir l’alliance franco-russe-germanique, issue des nécessités du moment. L’Angleterre menacée aux Indes et sur le Nil, Kouropatkine à Bombay, Marchand et Ménélik au Caire, Londres affamé, Tokyo humilié, la Chine divisée en zones d’influence ! »

C’est en 1905 que le Japon, frustré des retombées de sa victoire sur la Russie voit dans les USA le principal frein à son désir de contrôle de parties de la Chine.  En effet, du fait des pressions américaines, l’empire du Soleil levant obtient la Corée jusqu’alors autonome et la moitié de l’île de Sakhaline, mais il espérait déjà toute la Mandchourie alors qu’il n’en récupère que sa pointe sud-ouest à savoir le Guandong. Il est à noter qu’une grande partie des opérations militaires de cette guerre entre le Japon et la Russie se sont déroulées sur le territoire chinois, ce qui montre combien le statut de la Chine a pu être qualifié par certains de "semi-colonial".   

Si dans dans "La Chine et le traité de Versailles (1919) : une trahison occidentale" on avait mesuré combien cette alliance avait pesé sur l’avenir du territoire à bail allemand de Qingdao dans le Shantong, on voit que Port-Arthur et sa région (appelée Guandong 關東/关东) sont des territoires chinois dont des puissances étrangères décident du devenir. La Russie cède ses droits sur cet espace en 1905 au Japon et ce dernier profite que les puissances européennes regardent ailleurs en 1915 pour exiger de la Chine la cession du Guandong et c’est encore l’Amérique qui freine le pays du Soleil levant en ramenant les concessions chinoises à un bail passant de 25 à 99 ans (avec un départ du compteur en 1898).   

 Bruno Birolli, qui fut grand reporter et correspondant en Asie au Nouvel Observateur, avait dressé une remarquable biographie du général Ishiwara, qui est à l’origine de l’incident de Moudken le 18 septembre 1931 (mise en scène dans Tintin et le lotus bleu) se traduisant par l’invasion de la Mandchourie par les Japonais et la proclamation d’un état fantoche avec à sa tête Puyi l’ancien empereur de Chine (de la dynastie Qing). On sent très bien qu’il a une très bonne vision d’ensemble des évènements concernant la Chine et le Japon depuis 1885 avec le traité de Tianjin qui reconnaît à la France la possession du Tonkin  jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie  (en août et non mai 1945). Il nous aide à faire des liens insoupçonnés ainsi les Français apprendront avec cet ouvrage que les rentiers de leur pays (un tiers de l’épargne française part en Russie pendant la trentaine d’années qui précède l’année 1914) ont indirectement financé toute ou partie de la politique expansionniste russe en Extrême-Orient :

« Paris émet les premiers emprunts russes de triste mémoire. Cet argent est prêté par la Russie au Qing. La dernière dynastie chinoise l’utilise pour s’acquitter de l’énorme indemnité de guerre versée au Japon. (….) En contre partie de l’aide financière de Moscou, les Qing concèdent le 28 mars 1898 sous forme de territoire à bail d’une durée de vingt-cinq ans la péninsule du Liaodong. (…) Avec l’épargne française, Moscou relie par le Transsibérien la péninsule du Liaodong qui prend administrativement le nom de territoire du Guangdong ou Kwantung ».    (pages 10-11)  

On apprécie les trois cartes et on voit pour une rare fois un éditeur intelligent qui pense que l’on a souvent intérêt à mettre une carte dans le sens de la largeur (plutôt que dans le sens de la hauteur) pour lui permettre d’être bien plus lisible. Seul bémol à l’excellente qualité de cet ouvrage que le Guandong 關東/关东 (partie de la Mandchourie) devienne ici le Guangdong 廣東/广东  (province à l’extrême sud de la Chine ayant pour préfecture Canton). Enfin " l’aide financière de Moscou" fait très régime soviétique, rappelons que Moscou n’est pas la capitale des tzars à la Belle époque.  

En résumé voici un ouvrage qui nous livre un récit (celui du siège de Port-Arthur) de façon captivante, il s’agit là d’une bataille où d’ailleurs les soldats russes font preuve d’une capacité de résistance exceptionnelle. Cependant les réflexions de Bruno Birolli vont bien au-delà en matière militaire et diplomatique d’une histoire de bataille à la Lavisse.  

Pour connaisseurs Quelques illustrations

Adam Craponne

Note globale :

Par - 734 avis déposés - lecteur régulier

598 critiques
28/08/15
Fort Bayard un espace colonial concédé par la Chine à la France pour 99 ans, ouvrage de Bertrand Matot sorti en 2013 chez François Bourin
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