Avis de Alexandre : "Ami, entends-tu le vol noir du corbeau sur l’Ardenne ?"
L’Ombre du corbeau avait connu une prépublication dans le journal Tintin en 1976 qui avait imposé la couleur à son auteur (qui opte alors pour des pastels) ; toutefois cette BD, d’aspect ardu pour un public de jeunes lecteurs inférieurs à seize ans, n’avait pas connu le succès. En 1981 cette histoire connaît deux éditions aux formats et qualités d’impression différentes, une réédition de la publication économique se produit en 1983, enfin en mai 2012 paraît une nouvelle édition dont la page de couverture est totalement différente. Pour cette dernière parution, un cahier spécial de huit pages, comprenant un entretien avec le dessinateur ; Thierry Bellefroid, journaliste à la RTBF (et auteur de deux ouvrages d’étude sur la BD), y éclaire le contexte. A l’occasion de la réédition en noir et blanc de L’ombre du corbeau, le Musée des Beaux Arts de Liège accueille de la mi-mai à la mi-juin 2012 une exposition dédiée à l’œuvre de Comès mettant en valeur, sous la direction de Thierry Bellefroid, l’art du noir et blanc et du découpage de ce grand dessinateur belge.
Durant la Première Guerre mondiale dans les forêts de l’Argonne, non loin du lit de la Meuse, en septembre 1915 un militaire allemand se retrouve ébahi après que des tirs de l’artillerie française aient ravagé son escouade. Seul survivant, il est accueilli par une famille logeant dans une grand propriété ayant échappé aux bombardements. Ce soldat Goetz est le descendant de Götz von Berlichingen surnommé « Main de fer » à la suite de la pose d’une prothèse. Il prit part aux guerres que se livrèrent le Brandebourg et la Bavière au XVIe siècle et un concours de circonstances fit qu’il se retrouva à la tête d’une partie des révoltés lors de la guerre des Paysans.
Cette BD est fantastique, dans tous les sens du terme ; elle trahit un regard cynique et fataliste sur la mort au combat. Les souffrances des soldats des deux côtés nous apparaissent avec une certaine épaisseur et leurs photos des familles nous sensibilisent à leur devenir. Tous semblent égaux au départ devant la mort, toutefois des personnages étrangers au monde des humains décident de mettre fin à la vie de certains plutôt qu’à d’autres en fonction d’impulsions sentimentales ou de caprices. Le héros a rencontré une famille aux pouvoirs maléfiques et il en est devenu le jouet. Le personnage Main de fer apparaît dans une atmosphère morbide à la Dürer (dont il est le contemporain), par ailleurs le héros Götz von Berlichingen assiste à un spectacle de marionnettes qui voit deux chevaliers médiévaux s’affronter à pied avec leur armure. Ainsi la guerre apparaît-elle avec une dimension intemporelle dans la destinée humaine.
Voici une vision très personnelle de la Première Guerre mondiale où se mêle le réalisme de certains paysages et de plusieurs actions de soldats, la simplicité des sentiments et une ambiance fantastique qui ne manque pas de touche poétique.