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Sapiens : Une brève histoire de l’humanité

Sapiens : Une brève histoire de l’humanité
Albin Michel505 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "De l'origine des espèces aux post-humains, en passant par un navarin douteux"

"Sapiens : Une brève histoire de l’humanité" de Yuval Noah Harari est paru en hébreu en 2011 puis en 2011 au Royaume-Uni sous le titre de "Sapiens : A brief history of humankind". L’ouvrage commence par préciser :

« Il y a eu des êtres humains avant qu’il y ait histoire. Des animaux très proches des hommes modernes apparurent il y a environ 2,5 ans millions d’années. (…) Les lecteurs de ce livre sont vraisemblablement tous des Homos sapiens : de l’espèce sapiens (sage) et du genre homo (homme). » (pages 14-15)

En fait notre propre espèce les Homo sapiens n’existe seulement que depuis environ 150.000 ans. "Une brève histoire de l'humanité" n’est pas une histoire brève de l’humanité. Yuval Noah Harari passe aussi beaucoup de temps sur notre passé, présent et avenir possible.  Les étapes de l'histoire de sapiens sont assez incontestées, mais l’auteur leur donne un éclairage nouveau avec brio.

« Un cerveau géant est épuisant pour le corps. Il n’est pas facile à trimballer, surtout enchâssé dans un crâne massif. Il est plus difficile encore à alimenter. Chez l’Homo sapiens, le cerveau représente autour de 2 % à 3 % du poids corporel total, mais il consomme 25 % de l’énergie du corps quand celui-ci est au repos, contre 8 % seulement pour le cerveau des autres grands singes. Les humains archaïques payèrent leurs gros cerveaux de deux façons. Premièrement, ils passèrent plus de temps à chercher de quoi se nourrir. Deuxièmement, leurs muscles s’atrophièrent. Comme un gouvernement détourne des fonds de la défense vers l’éducation, les hommes détournèrent de l’énergie des biceps vers les neurones. Que ce soit une bonne stratégie pour survivre dans la savane ne va pas de soi. Si un chimpanzé ne peut l’emporter dans une discussion avec un Homo sapiens, le singe peut le déchiqueter comme une poupée de chiffons. » (page 19)

« Nous supposons qu’un gros cerveau, l’usage d’outils, des capacités d’apprentissage supérieures et des structures sociales complexes sont des avantages immenses. Que ceux-ci aient fait de l’espèce humaine l’animal le plus puissant sur Terre paraît aller de soi. Or, deux bons millions d’années durant, les humains ont joui de tous ces avantages en demeurant des créatures faibles et marginales. Les humains qui vivaient voici un million d’années, malgré leurs gros cerveaux et leurs outils de pierre tranchants, connaissaient la peur constante des prédateurs, du gros gibier rarement chassé, et subsistaient surtout en cueillant des plantes, en ramassant des insectes, en traquant des petits animaux et en mangeant les charognes abandonnées par d’autres carnivores plus puissants.

Un des usages les plus courants des premiers outils de pierre consistait à ouvrir les os pour en extraire la moelle. Selon certains chercheurs, telle serait notre niche originelle. De même que la spécialité des pics est d’extraire les insectes des troncs d’arbre, de même les premiers hommes se spécialisèrent dans l’extraction de la moelle. Pourquoi la moelle ? Eh bien, imaginez que vous observiez une troupe de lions abattre et dévorer une girafe. Vous attendez patiemment qu’ils aient fini. Mais ce n’est pas encore votre tour à cause des chacals et des hyènes – vous n’avez aucune envie de vous frotter à eux – qui récupèrent les restes. C’est seulement après que vous et votre bande oserez approcher de la carcasse, en regardant prudemment à droite et à gauche, puis fouiller les rares tissus comestibles abandonnés. » (pages 21-22)

« C’est là une clé pour comprendre notre histoire et notre psychologie. Tout récemment encore, le genre Homo se situait au beau milieu de la chaîne alimentaire. Des millions d’années durant, les êtres humains ont chassé des petites créatures et ramassé ce qu’ils pouvaient, tout en étant eux-mêmes chassés par des prédateurs plus puissants. Voici 400 000 ans seulement que plusieurs espèces d’hommes ont commencé à chasser régulièrement le gros gibier ; et 100 000 ans seulement, avec l’essor de l’Homo sapiens, que l’homme s’est hissé au sommet de la chaîne alimentaire. Ce bond spectaculaire du milieu au sommet a eu des conséquences considérables. Les autres animaux situés en haut de la pyramide, tels les lions ou les requins, avaient eu des millions d’années pour s’installer très progressivement dans cette position. Cela permit à l’écosystème de développer des freins et des contrepoids qui empêchaient lions et requins de faire trop de ravages. Les lions devenant plus meurtriers, les gazelles ont évolué pour courir plus vite, les hyènes pour mieux coopérer, et les rhinocéros pour devenir plus féroces. À l’opposé, l’espèce humaine s’est élevée au sommet si rapidement que l’écosystème n’a pas eu le temps de s’ajuster. De surcroît, les humains eux-mêmes ne se sont pas ajustés. La plupart des grands prédateurs de la planète sont des créatures majestueuses. Des millions d’années de domination les ont emplis d’assurance. Le Sapiens, en revanche, ressemble plus au dictateur d’une république bananière. » (page 22)

« Il n’y a pas si longtemps, nous étions les opprimés de la savane, et nous sommes pleins de peurs et d’angoisses quant à notre position, ce qui nous rend doublement cruels et dangereux. Des guerres meurtrières aux catastrophes écologiques, maintes calamités historiques sont le fruit de ce saut précipité. »

Depuis la révolution cognitive, il ya environ 70.000 ans, nous (les Homo sapiens) avons commencé à mettre au point des moyens d’actions plus ingénieux qu'auparavant et depuis l’Afrique nous propager rapidement à travers la planète. Voici plus de 10.000 ans, nous sommes entrés dans la révolution agricole, la révolution scientifique commence il ya environ un demi-millénaire et la révolution industrielle se déclenche voici près de 250 ans. La fin du XXe siècle  connaît la révolution de l'informatique et celle de la  biotechnologique. Yuval Noah Harari émet l’hypothèse que la révolution biotechnologique annonce la fin de sapiens. Nous serons remplacés par des post-humains transgéniques, capables de vivre éternellement.

Une grande partie du contenu de "Sapiens : Une brève histoire de l’humanité"  est extrêmement intéressante, même si pour faire passer son message l’auteur tombe souvent dans le sensationnalisme. En matière de faits historiques Yuval Noah Harari a le coup d’œil américain, il a tendance à projeter une interprétation personnelle sur des évènements qu’il a simplifié pour aller dans son sens. On a l’impression que les démonstrations sont plus magistrales que rigoureuses, on est parfois submergé par les appels douteux à caution (sur des idées d'ailleurs généralement intéressantes) qui prennent appui derrière certains faits historiques, Yuval Noah Harari ne partant en vérité que de l’interprétation d’un des aspects des évènements.

Page 382 le récit autour des prémices de l’indépendance grecque relève de l’anecdotique : elle ne tient qu’aux investisseurs britanniques qui risquaient de perdre de l'argent si les Grecs n’obtenaient pas leur indépendance. Il y a là une mauvaise connaissance (ou une impasse sciemment voulue) autour du mouvement philo-hellénique en Europe occidentale (aide en soldats et aide financière sous forme de dons), de la dimension de protection des chrétiens, de l’intérêt stratégique de la Grèce et du rôle secondaire que joua le Royaume-Uni dans ce conflit (la France et la Russie étant les fers de lance). De plus factuellement la bataille de Navarin de 1827 marque une étape vers l’indépendance grecque, les combats se poursuivaient par ailleurs entre les Grecs et leurs alliés contre les Turcs jusqu’en 1829. Ceci avec par ailleurs une présence de troupes françaises en Morée de 1828 à 1833 (à partir de 1830 pour dissuader les Turcs de reprendre là l’offensive) et pour l’été 1829 une avancée russe en Arménie dans les principautés roumaines et une présence des armées du tzar à moins de 70 km de Constantinople. En 1832 seulement l’empire ottoman reconnaît l’indépendance grecque. Sauf à vouloir passer en force sur l'idée que la City avait décidé de l'indépendance de la Grèce, l'auteur n'avait donc pas à écrire que la bataille de Navarin ayant eu lieu en 1827:

« Après des siècles d'assujetissement, la Grèce était enfin libre». (page 382)

On pourra juger de soi-même ici d’un type de raccourci intellectuel:

« Les pénuries alimentaires ne sont pas à l’origine de la plupart des guerres et des révolutions de l’histoire. Ce sont les avocats aisés qui ont été les fers de lance de la Révolution française, non pas les paysans faméliques ». (page 130)

On voit aussi une interprétation sujette à caution pages 378 et 379, où notre auteur accuse l’expérience Law d’avoir ruiné les perspectives pour le royaume de France d’obtenir des crédits pour rembourser les dettes de l’État alors que le système appuyé sur la Compagnie du Mississipi permit d’apurer nombre de créances du pouvoir royal. Si le système Law ruine quelque chose c’est la confiance dans le papier monnaie pas la perspective de continuer à obtenir du crédit payable en monnaie sonnante et trébuchante pour couvrir une dette allégée (voir sur la question un ouvrage de Nicolas Buat présenté ici "John Law : la dette ou comment s’en débarrasser").

"Sapiens : Une brève histoire de l’humanité" donne des clés de compréhension, il reste à lire d’un regard critique pour éviter de se laisser mener par une démonstration globalement brillante qui s’appuie sur des points contestables. En tout cas tous les altermondialistes ou antilibéraux du point de vue économique trouveront là de quoi renouveler leur argumentation. Tous les lecteurs apprécieront les schémas, tableaux et reproductions documents iconographiques parlant car ils aident à bien éclaire les propos.        

     

Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations

Adam Craponne

Note globale :

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