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Aragon

Aragon
Gallimard891 pages
1 critique de lecteur

Avis de Ernest : "Les cendres chaudes entre Aragon et Castille"

"Les cendres chaudes de l’oubli" est une phrase tirée du roman "Blanche ou l’oubli" et l’on sait qu’"Aragon et Castille" est une célèbre chanson de Boby Lapointe où la rencontre entre les deux protagonistes autour d'une glace à deux boules (vanille et citron) n’a finalement pas lieu.

Nous avons, pour beaucoup d'entre nous, appris qu’Aragon ne vit que très peu son père Louis Andrieux. Ce dernier fut préfet de police de Paris entre 1879 à 1881, député du Rhône puis des Basses-Alpes républicain ; devenu un temps boulangiste, il termina sa carrière politique au centre droit. De ce point de vue, nous ne sommes guère d’accord avec l’auteur qui situe toute la carrière politique de ce dernier à gauche se fiant en particulier à l’étiquette de "républicains de gauche" qu'il adopte à la Belle Époque et lors des Années folles.

En fait dès 1877 celle-ci désigne des hommes qui siègent à droite dans l’hémicycle. On est "républicain de gauche" en 1872 lorsqu’on entend se différencier des députés conservateurs devenus républicains en suivant l’évolution de Thiers. Rappelons la formule de Joseph Barthélemy: « Les républicains de gauche sont des hommes du centre que les malheurs du temps obligent de siéger à droite ». D’ailleurs l’évolution des sentiments de Louis Andrieux vis-à-vis de la franc-maçonnerie confirme cette évolution, frère au début de la IIIe République, il est au hostile aux loges à la Belle Époque.

Comme l’auteur nous le dit si fortement Louis Aragon, quoique présenté comme le neveu de Louis Andrieux, était aux yeux de quasiment de tous connu comme l’enfant naturel de ce dernier. Toutefois cette double identité (l’une comme né en 1897 à Madrid de Jean Aragon qui a de plus Marguerite Toucas pour sœur, l’autre né toujours en 1897 mais à Paris de Louis Andrieux et de Marguerite Toucas) lui fournit un puissant ressort en matière de mentir-vrai au sujet  de l'interférence entre la vie d'un écrivain et son œuvre. Rappelons que "Le Mentir-vrai" est un recueil qui réunit les contes, nouvelles, récits et quelques textes de critique littéraire écrits par Aragon entre 1923 et 1972.

La mort imprègne la vie (sic) d’Aragon, donné pour mort en août 1918 il découvre sa tombe deux mois après (page 123), il est un des rares Français que les Anglais évacuent de la poche de Dunkerque le 1er juin 1940 échappant à une possible agonie, enfin à plusieurs reprises il a tenté de mettre fin à ses jours.

Cette fausse carte d'identité d'Aragon, pour la période 1943-1944 n'est pas reproduite dans le livre, mais elle se révèle très intéressante

Les biographies sur Aragon (sur tout ou partie de sa vie) ne manquent pas et j’avoue humblement ne pas les avoir lues, qu’elles proviennent de ceux qui l’ont bien connu comme Pierre Daix et Pierre Juquin ou d’autres. Philippe Forest est dans la seconde catégorie, dans une interview du vendredi 5 septembre dans "L’Humanité",  il avoue ne l’avoir vu qu’une fois :

« Je l’avais aperçu de très loin, vers la fin de sa vie, au début des années 1980, en tête du cortège d’une délégation du Parti communiste qui défilait contre l’implantation des euromissiles sur le continent. J’avais été frappé par son allure à la fois romanesque et romantique. Il était coiffé d’un grand chapeau et portait une vaste cape ».

Philippe Forest ne fait pas  l’impasse sur l’homosexualité d’Aragon, au moins certaine à la fin de sa vie, c’est-dire après la mort d’Elsa Triolet en 1970. L’auteur raconte d’ailleurs qu’en 1975 reconnaissant Aragon, des jeunes consommateurs dans un bar, selon Guy Konopnicki alors en sa compagnie, font jouer le tube "Et mon père" de Nicolas Peyrac où Aragon est traité de "minet" et où on poursuit par "Au café de Flore y avait déjà des folles". Dans ces années-là Aragon fréquentait sans tenter de dissimuler son identité un square derrière Notre-Dame connu pour être un lieu de rencontre entre gays. Drieu La Rochelle avait déjà fait allusion dès les années 1930, dans "Gilles" à la bisexualité d’Aragon qui est ici vu à travers le personnage de Galant.

L’ouvrage a un plan chronologique, ce qui ne surprendra pas pour une biographie. Il nous explique bien en filigrane le rapport qu’Aragon entretient avec la portée sociale de la poésie. Le lecteur un peu érudit sur l’histoire de la IIIe république, du régime de Vichy et de la Libération trouvera certaines occasions de sourire. En effet il pourra découvrir que dans son poème "Front rouge" publié en 1931, il appelle non seulement au meurtre de Léon Blum mais aussi à celui de Ludovic-Octave Frossard (premier  secrétaire général de la SFIC qui prendra pour nom "Parti communiste français" dont il démissionne en 1923). Or c’est dans le journal "Le mot d’ordre" de Ludovic-Octave Frossard (replié à Marseille)  que paraît  début mars 1943 "La rose et le réséda", un des fleurons des poèmes sur la Résistance :

« Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats. »        

Si la poésie n’a pas de portée dans la vie réelle, comme Aragon le proclame alors, avec le contenu de "Front rouge" il parle de simples métaphores, on peut s’interroger sur son rôle de procureur dans le cadre de  l'épuration dans les milieux littéraire, que lui avait d’ailleurs prédit Céline dans son "Guignol’s Band".

Au-delà du monde des écrivains depuis 1919 à la fin des années 1970, est ponctuellement évoqué aussi celui des peintres de la même époque et pas seulement à travers Picasso. Ainsi apprend-on que pour le vernissage du Salon d’Automne de 1951, du fait de la présence attendue du président de la République (pourtant le socialiste Vincent Auriol), on décrocha sept toiles jugées d’inspiration communiste dont deux réalisées par Boris Taslitsky, à savoir "La grève de Port-de-Bouc" (en fait le tableau se nomme "Riposte")  et "Portrait d’Henri Martin" (page 617).    

Pour connaisseurs Quelques illustrations

Ernest

Note globale :

Par - 333 avis déposés -

333 critiques
01/11/15
D’Aragon à Céline conférence de Philippe Forest
https://webtv.univ-nantes.fr/fiche/6103/philippe-forest-aragon
618 critiques
16/12/15
Aragon, l'écrivain qui préférait Staline à Proust

http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20121128.OBS0750/aragon-l-ecrivain-qui-preferait-staline-a-proust.html
406 critiques
05/10/18
Louis Aragon, poète et soldat article d'Hervé Lenoir. L'Encrier du poilu, été 2018, p.26-27 (VOIR LE BLOG DE LA REVUE SUR INTERNET)
465 critiques
27/02/19
Un intellectuel dans le siècle des communismes, Louis Aragon et Lettres françaises « Carte blanche » à Guillaume Roubaud-Quashie
12 avril 2019, de 14h à 17h
MSH de Dijon
http://www.gabrielperi.fr/ateliers-sur-l%E2%80%99histoire-du-pcf.html
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