L'audace de la liberté

Parfois, la vie de deux femmes peut sembler si dissemblable que rien ni personne ne parvient à les rapprocher, ni à les réconcilier. Et quand la grande Histoire s'en mêle, elles deviennent deux femmes ennemies. Et si le vent contraire des évènements, poussé par un absurde coup du sort, avait décidé de les réunir dans la même modernité ? Deux êtres diamétralement opposés par leurs origines et leur éducation, qui vont offrir à la femme une pérennité qui perdure au-delà des siècles.

Maria Antonia de Habsbourg de Lorraine connaît la félicité et une forme de nonchalance dans son enfance qui la rend gaie et primesautière. Tout lui est jeu, divertissements au sein d'une famille unie et nombreuse. Mais c'est mal dépeindre sa mère Marie-Thérèse, impératrice d'Autriche et Reine de Bohème entre autres titres, qui, par le jeu des alliances étend son pouvoir et sa domination sur l'Europe. Maria Antonia sera Reine de France sous le nom de Marie-Antoinette aux côtés de Louis de France, petit-fils du vieillissant Louis XV, qui montera sur le trône sous le nom de Louis XVI.

Véritable héroïne du roman, Olympe de Gouges n'est pas prédestinée à jouer un rôle prépondérant dans l'avenir de son pays. La Révolution est un concept qui se borne pour elle à échapper à un mari brutal et misogyne et à fuir son statut de femme bafouée.

Tandis que la Reine de France Marie-Antoinette se montre conservatrice et obstinée, engluée dans ses convictions aristocratiques, déterminée à sauver la monarchie de son époux, Olympe de Gouges fait, au prix de beaucoup d'efforts dans un Convention Nationale misogyne, bouger les lignes. Elle se bat comme une lionne ou plutôt comme un homme, oeuvre sans relâche, écrit jour et nuit, assiste à tous les débats de la Convention Nationale, quand bien même les femmes sont exclues des débats.

Olympe de Gouges sera la première personnalité féminine à périr sur l'échafaud après Marie-Antoinette, le 3 novembre 1793, comme si la mort avait décidé de les réunir. Bientôt le spectre de Robespierre, leur ennemi irréductible, avec sa mâchoire fracassée partagera leur destinée, pour avoir rêvé d'une Révolution idéaliste, inaccessible et glacée, .

Finaliste du prix historique Simone Veil, Karin Hann nous offre un portrait humain et saisissant d'une femme de son époque qui a survécu au temps.Toujours très bien documenté sur ses personnages, comme une marque de fabrique, le roman retrace les combats féministes de cette révolutionnaire, que l'Histoire connaît mal, injustement.

Celle qui est à l'origine de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne en octobre 1791 ,a envoyé un exemplaire à la Reine, aux Tuileries. Marie-Antoinette l'a t-elle seulement lu ? Fut-elle capable de voir au-delà de la Royauté absolue, présumant de ce que la Révolution pouvait apporter de positif à cette société nobiliaire obsolète ? J'en doute. La Reine de France n'était pas armée ni éduquée pour accepter les changements radicaux qui auraient permis de préserver le trône de son fils, le Dauphin.

Une monarchie constitutionnelle qui aurait été possible au début de la Révolution était inacceptable pour la Reine. Il n'en reste pas moins que Marie-Antoinette et Olympe de Gouges incarnent aujourd'hui le fleuron du féminisme, chacune à leur manière. Ivres de liberté, Marie-Antoinette rejetant le carcan de l'étiquette de cour, fuyant les courtisans dans son hameau de la Reine, Olympe de Gouges refusant toute idée de remariage, elles restent deux victimes tragiques de la Révolution, icônes éternelles du féminisme en cette période violente et incertaine que fut l'abolition des prvilèges.