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Le seigneur de Charny

Le seigneur de Charny
XO éditions420 pages
1 critique de lecteur

Avis de François S.F. : "Entre Poitiers et Azincourt"

Nous sommes en Champagne en 1382. Le seigneur de Lirey, Jacques de Charny, vient de rentrer d'une expédition comme l'on n'en fait plus qu'en rêve : la Croisade. Il a combattu pour les Byzantins contre les Turcs, puis a fait voile vers Saint-Jean-d'Acre mais les navires à bord d'un desquels il se trouvait ont dû refluer après avoir essuyé une forte tempête. Et voici de Charny de retour sur ses terres, après une longue absence, surprenant sa soeur au saut du lit et retrouvant sa mère qui semblait l'attendre.

 

Le portrait du personnage principal commence à prendre forme. Mais qui est-il ? C'est, la suite de l'ouvrage qui nous l'apprend - les spécialistes de l'histoire du XIVème siècle l'auront immédiatement identifié -, le fils de Geoffroy de Charny, "inventeur", si j'ose m'exprimer ainsi de la sainte relique qui sera plus tard et encore de nos jours désignée, après maints événements, comme "Linceul de Turin", et aussi compagnon du roi Jean II le Bon dans l'ordre de l'Etoile créé par ce dernier, un "preux" qui allait se faire fort de périr pour son roi et lui éviter le pire lors de la bataille de Poitiers en 1356.

 

Etre le descendant direct et le successeur d'un tel homme ne peut qu'inciter un fils à ne pas faire moins bien que son père. Aussi s'explique-t-on son départ pour le "Saint Voyage", qui a certes tourné court mais n'a pas empêché ce jeune seigneur de porter haut les couleurs de sa famille.

 

Avec son retour correspond la décision de sa mère, Jeanne, d'organiser la "monstrance" du Suaire que l'on affirme haut et fort avoir enveloppé le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ entre l'heure de sa mort et celle de sa Résurrection. Cette "ostension' publique du tissu sacré, mal vue par l'évêque de Troyes, Pierre d'Arcis, ne manque toutefois pas d'édifier les foules de croyants, qui vont se faire un devoir d'alléger leurs bourses de quelques pièces d'argent ou d'or, dans l'espoir de contribuer eux-mêmes par ces offrandes, sous le regard de Dieu, au salut de leurs âmes. On n'est pas loin de pratiques que dénoncera plus tard, au XVIème siècle, un certain Martin Luther (les Indulgences), mais qui eurent cours durant plusieurs siècles, pour le plus grand contentement de ceux qui pensaient alors pouvoir acheter ainsi leurs places dans la Jérusalem Céleste, à défaut de pouvoir être parfaitement - et même imparfaitement - fidèles au Christ dans leur vie de tous les jours.

 

Jacques de Charny, craignant peut-être des démêlés avec l'évêque, presse de questions sa mère, qui lui fait comprendre qu'il faut bien user de ce moyen pour renflouer la trésorerie de la seigneurie, menacée de faillite.

 

Mais l'heure n'est pas à ces explications. Jacques fait chercher, par son régisseur Placide Coutterets, de vieux amis à lui, pour fêter son retour. Au nombre de ceux-ci, il y a Arnaut de Thouars et Miles de La Roche, comte de Brienne. Ce dernier est trouvé en charmante compagnie dans un lieu plus ou moins bien famé, et l'autre ne vaut guère mieux, qui vient de batifoler avec l'épouse du prévôt local et qui est poursuivi par le mari trompé armé d'un gourdin. Les deux joyeux lurons et Placide Coutterets échappent à leur poursuivant essouflé, tandis qu'eux éperonnent leurs montures.

 

Suit la réception, fastueuse, arrosée de bon vin et généreuse en bonne chère, tandis que le sire de Lirey conte à ses hôtes le récit de ses prouesses au service du Basileus et ses péripéties pour tenter de rejoindre Saint-Jean-d'Acre, sur les côtes levantines. Et Jacques d'interroger ses convives. Qu'ont-ils fait en son absence ? Il veut tout savoir : d'Arnaut et Miles qu'attendre d'autre que d'apprendre qu'ils ont mené bonne vie entre chasse, ripailles et courses aux porteuses de jupons, rivalisant de galanterie pour séduire les belles. Mais plus loin et plus haut dans les hiérarchies, que s'est-il passé ? Jacques est bien marri d'apprendre que la papauté s'est déchirée, que le Manteau du Christ a été fendu au sein même de l'Eglise, qu'un Souverain Pontife demeuré en Avignon a continué d'être soutenu par les Valois, détenteurs de la Couronne de France, tandis qu'un Saint-Père romain a reçu les suffrages des Anglais, la Guerre de Cent Ans s'invitant même dans les affaires religieuses jusqu'à entraîner ce que l'on devait appeler le Grand Schisme. Au royaume de France, rien ne tourne plus rond, une fois encore. Les oncles de Charles VI, tels des rapaces, se partagent pouvoir et richesses, devant un souverain qui n'en peut mais, malgré les tentatives des anciens conseillers de Charles V le Sage pour reprendre les affaires en main et que l'on affublera du surnom de Marmousets. D'ailleurs ce Charles V était-il aussi parfait qu'on le prétendait ? Certains défendaient sa mémoire, becs et ongles. D'autres au contraire s'inquiétaient de la situation qu'il laissait le soin à son fils de tenter d'assainir. Charles V passait en effet, à juste titre, pour un roi lettré, peu versé dans les choses de la guerre et qui n'avait dû la reconquête des provinces perdues par Jean II le Bon qu'aux bons et loyaux services de feu Bertrand Du Guesclin, son connétable, un autre homme à la réputation peut-être un peu usurpée - ou tout du moins à la légende quelque peu dorée et redorée.

 

Les avis se partagent à la table de Jacques, qui écoute et qui se demande comment relever son propre domaine, faute d'être en capacité de secourir tout de suite le roi, mal entouré. Bientôt va se montrer à Lirey un jeune seigneur qui demandera à voir le Précieux Drap du Christ, ce qui va avoir bien des conséquences.

 

Mais n'allons pas plus loin dans le récit, sous peine d'indisposer le lecteur, car il s'agit à présent de le laisser s'emparer de ce livre, qui est un bon morceau de littérature mais à caractère historique, ce dont nous allons parler maintenant.

 

Laurent Decaux, âgé de trente-six, nous offre un récit où l'Histoire ne cesse de s'entremêler à une très belle production romanesque. Nous suivrons en Flandre le roi Charles VI, longtemps appelé le Bien-Aimé avant de sombrer, par intermittences, dans la folie.

 

La quatrième de couverture ne nous ment pas qui nous parle de "formidable histoire de cape et d'épée", encore que ce genre de terminologie s'applique plutôt à des romans qui traitent d'épisodes situés au XVIème ou au XVIIème siècle. Nous parlerons plutôt d'épopée, avec de beaux morceaux de bravoure. Du moins vers la fin.

 

Comment écrire encore des romans de chevalerie, sans tomber dans les plus mauvais clichés, après un livre comme le Don Quichotte, ce héros déconstructeur du mythe chevaleresque, imaginé avec génie par Cervantès, après le crépuscule de cette caste militaire et alors que s'épuisait le genre littéraire qui voulait en vanter les mérites et les exploits, fût-ce avec vantardise ?

 

Faut-il voir un mélange de Chrétien de Troyes et de Cervantès, mâtiné de Pierre Naudin et de Jeanne Bourin, chez Laurent Decaux ? Il y a un peu de cela, car l'on aime la joie de vivre de certains personnages - même si la paillardise n'est pas tout à fait absente - et la sensiblité des figures féminines en même temps que la bravoure et les principes en usage dans le milieu princier et chevaleresque, ce qui n'empêche nullement l'auteur de nous dépeindre la réalité parfois plus crue et plus prosaïque que ce que le genre veut parfois nous vendre. Mais il y a bien plus que cela chez Laurent Decaux, et si j'ignore ce qu'il nous donnera à lire par la suite, je me déclare tout prêt à faire bon accueil à ses écrits à venir, sur la foi de celui-ci, qui est romanesque à souhait et dont certains passages marqueront durablement, j'en suis sûr, de par leur beauté ou de par de justes analyses et réflexions, le lectorat de ce jeune auteur.

 

François Sarindar

 

coup de coeur !

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Note globale :

Par - 27 avis déposés - lecteur régulier

598 critiques
07/09/17
Le saint suaire sujet au niveau BD http://www.glenatbd.com/bd/le-linceul-tome-1-9782723440981.htm
http://www.actuabd.com/Trois-Christs-Unis-par-la-Passion,
dans cet album, la même histoire est racontée selon 3 points de vue différents
734 critiques
24/09/17
Laurent Decaux est le fils d'Alain Decaux.
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