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Le réveil des cœurs : journal du frère morave Fries (1761-1762)

Le réveil des cœurs : journal du frère morave Fries (1761-1762)
Croît vif525 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "La montbéliardaise est une vache réformée"

L’existence de ce manuscrit était connu depuis le milieu des années 1980, il avait était découvert dans une ville de ce qui était encore la République démocratique allemande. De son auteur, on sait beaucoup de choses puisque une biographie de lui est proposée dans le "Journal de l’unité des frères" n°26 d’août 1837 aux pages 230 à 236 (https://books.google.fr/books?id=jNQQAAAAYAAJ&pg=RA1-PA96&lpg=RA1-PA96&dq=Journal+de+l%27Unit%C3%A9+des+fr%C3%A8res&source=bl&ots=UD4dz3Y16C&sig=lHPE73EgelpFGfZi0seEOc2WXxI&hl=fr&sa=X&ei=iNTJVNWzD8TxUu_PgLgG&ved=0CCMQ6AEwAA#v=onepage&q=Journal%20de%20l%27Unit%C3%A9%20des%20fr%C3%A8res&f=false).

Né à Montbéliard, alors que les seigneuries dépendantes de Montbéliard occupées depuis 1676 par la France se voient autorisées à connaître un pasteur officiel, il devient l’un des premiers d’entre eux en 1746. En conséquence c'est dans une partie du royaume de France où le protestantisme est maintenant toléré que Fries a été pasteur, avant qu'il n'entreprenne son voyage. Rappelons que par contre la seigneurie de Montbéliard, au sens strict reste aux mains du duc de Wurtemberg jusqu’à la Révolution française. Ceci explique que les habitants de la principauté (composée de plusieurs seigneuries) soient devenus luthériens.Sans ces explications complémentaires, livrées par nous, il n’est pas trop aisé de comprendre les spécificités des habitants de la principauté de Montbéliard ; une partie d’entre eux s’étant vue privé du droit à l’exercice public du culte pendant près de soixante-dix ans, alors que ceux résidant à Montbéliard ou ses abords immédiats gardaient leurs temples. Par ailleurs, outre qu’un index des cartes n’est pas un luxe, il est regrettable de laisser apparaître la Lorraine et le Comtat Venaissin comme français en 1762. Il est évident par contre que la situation territoriale de l’Alsace si particulière ne méritait pas d’être rapportée, bien qu’elle permit des îlots de protestantisme, du fait de la non-partenance au royaume de France de Mulhouse et Salm par exemple.

C’est pour l’Église des frères moraves, principalement implantée dans l’espace saxon (et interdite en Moravie, région appartenant à la Maison d’Autriche) mais aussi aux Amériques, qu’en 1761 et 1762 il va rendre visite à nombre de communautés protestantes. C’est dans l’ensemble du sud-ouest depuis au nord Saint-Maixent-l’École et Melle dans le Poitou jusqu’aux environs de Pau, à Montpellier et à Nîmes au sud, en passant par exemple à Bordeaux et les Cévennes, qu’il voyage. Arrivant par Genève, il séjourne aussi à Lyon et Marseille. Selon les régions traversées, l’exercice du culte calviniste est totalement interdit, avec emprisonnement des pasteurs comme Rochette exerçant à Montauban (page 261) et très rarement toléré avec l’exemple dans les Cévennes. Voltaire vient de publier son "Traité sur la tolérance" et l’Affaire Calas démarre en 1761 avec la découverte du corps de Marc-Antoine ; Pierre Conrad Fries évoque en plusieurs occasions ce qui a trait à ce procès.

L’état du protestantisme, en France dans les années 1760, l’inquiète beaucoup ; en effet l’édit accordant un état-civil aux calvinistes n’est signé par Louis XVI qu’en novembre 1787. Le 18 juillet 1761, il est à Salies-de-Béarn : « La difficulté fut de sortir de la maison où nous étions sans nous faire voir parce que c'était en plein jour. - Nous convînmes que je passerais à travers les murs de la ville. Ayant pris cordialement congé de M. Lacoste et de sa famille, je partis avec deux dames qui me conduisirent et qui me tendirent une échelle dont je me servis pour monter sur une muraille, d'où étant descendu, je trouvai une autre dame qui me fit passer à travers sa maison pour aller joindre un ancien qui m'attendait avec deux chevaux... ». Le 13 novembre 1761, Pierre Conrad Fries approche de Saint-Maixent-l’École : « Il me répondit qu'il ne savait de quoi je lui parlais : je lui demandai s'il n'avait pas été lié d'amitié avec le sieur Michelin et s'il n'avait pas vu chez lui un garçon perruquier qui lui avait parlé de religion. Alors, me faisant signe de la main de prendre garde à moi, il me fit entrer dans son cabinet d'où il congédia un homme qui lui demandait un avis de droit, et il me dit d'abord que j'étais bien hardi, que je risquais ma vie de me produire dans cette ville, vu que je serais un homme perdu si j'étais connu ».

Le 14 juillet 1762 à son retour, alors qu’il est à Genève, il écrit : « Hélas ! quand je pense à tout mon travail et que je me demande quel succès ont eu mes voyages, s'ils ont contribué à l'avancement de la gloire du Sauveur ? Je n'ai guère de réponse satisfaisante à me faire. Mais je suis entièrement assuré que le cher Sauveur m'est propice et qu'il me pardonne toutes mes fautes. - Au surplus tout est triste dans le pays d'où je sors : j'ai vu le mal de cette pauvre nation que j'ai visitée, j'en ai parlé au Sauveur, j'en ai pleuré et j'en pleure à ses pieds, le suppliant de la visiter lui-même dans sa grâce : et ma seule consolation, c'est la confiance que j'ai en sa charité qui ne permettra pas que mes larmes soient perdues ».

Cet ouvrage donne des indications précieuses sur la façon dont pouvait vivre leur foi les protestants du règne de Louis XV. Il ne faudrait pas par contre y chercher un tableau des modes de vie de diverses classes sociales. Les éclaircissements et compléments d’informations de bas de pages sont copieux et fort intéressants. Ainsi à la page 273, apprend-on, grâce à la mention d’une remarque d’un contemporain que la foire aux ânes, bœufs et cochons doit obligatoirement se tenir sur l’emplacement de l’ancien temple de Niort détruit en 1684. Ceci tant pour désacraliser qu’humilier. Cette information est tirée d’un des ouvrages d’Yves Krumenacker, à qui on doit une petite dizaine de livres sur les protestants français du XVIIIe siècle. Les deux commentateurs du manuscrit sont des historiens issus de famille morave. Pour connaître l'implantation maximale du protestantisme dans le royaume de France (quart nord-est exclu, car encore dans le Saint Empire romain germanique), on se reportera à l'ouvrage de Janine Garrisson "Les protestants au XVIe siècle".

Pour connaisseurs Quelques illustrations

Adam Craponne

Note globale :

Par - 734 avis déposés - lecteur régulier

734 critiques
04/06/17
Le plus ancien (et le plus grand) lieu de culte des protestants utilisé en France se trouve à Montbéliard

http://www.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard/2017/06/04/la-reforme-qui-ne-divise-plus-les-chretiens
465 critiques
22/06/17
En mai 2018 la communauté Mennonite de Montbéliard accueillera un congrès européen.
https://www.editions-mennonites.fr/2017/01/la-conference-mennonite-europeenne-2018-aura-lieu-a-montbeliard/
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