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L’État et les religions en France

L’État et les religions en France
Presses universitaires de Rennes366 pages
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Avis de Benjamin : "La laïcité oblige les religions à s’autoréguler alors que les religions entendent réguler la société de leur propre chef"

Philippe Portier est directeur d’étude à l’Ecole pratique des hautes études (EHESS) et directeur du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités au CNRS. En 2021 il cofonde La Vigie de la laïcité. La même année, il est élu co-président de l'association Enquête qui « conçoit et diffuse des pédagogies et outils ludiques d’éducation à la laïcité et aux faits religieux pour développer chez les enfants un rapport apaisé et réfléchi à ces sujets ». Ce livre a pour sous-titre Une sociologie historique de la laïcité. Philippe Portier propose ici de réfléchir autour de questions fondamentales. Celles-ci sont : Qu’est-ce que la laïcité française? Comment ce concept est-il né et a-t-il évolué?.

L’auteur distinguer trois grands moments dans l’histoire de la laïcité française. Le premier est le modèle concordataire, dû à l’initiative de Napoléon, il dure de 1801 à 1905 ; la liberté de conscience est assurée et les cultes assurent une certaine régulation sociale mais les actions des autorités religieuses sont contrôlées.

À partir de 1880 et jusqu’en 1905 on entre, avec la victoire des républicains sur les forces monarchistes, dans une période qui débouche sur la loi de Séparation. Mis-à-part la parenthèse de Vichy d’à peine quatre ans, on est dans l’univers séparatiste de 1905 à 1960, ce dernier se régulant sérieusement d’ailleurs avec le rétablissement des relations entre la France et le Vatican en 1921 (à l’initiative de Briand alors président du conseil ainsi que de Millerand président de la République, deux laïcs au-dessous de tout soupçon) et en prolongement en 1926 par la condamnation papale de l’Action française de Maurras qui condamnait toute reconnaissance de la République et par là toute négociation de l’Église avec les autorités officielles françaises.

Enfin, avec le vote de la loi Debré sur l’enseignement privé en décembre 1959, par une Assemblée nationale où la gauche avait été réduite à la portion congrue, on entre dans une troisième phase. Notons, qu’avec en particulier le basculement à droite d’une partie des radicaux valoisiens d’alors avaient pu être votées deux lois (celles en 1951, dites d’André Marie et de Barangé) qui préparaient le terrain à ce partenariat implicite entre l’État et les forces religieuses qui s’installe définitivement avec l’année 1960. On entre là dans une dimension recognitive.

On pourra retenir ces citations qui illustrent la richesse des informations distillées tout au long de cet ouvrage :

(au sujet de deux principes de fonctionnement de la laïcité)  « Le principe d’égalisation des conditions, en premier lieu : dans le modèle français, l’État surplombe toutes les croyances et toutes les convictions, en refusant de les distinguer juridiquement, et donc de privilégier l’une d’entre elles. C’est là, expliquent nos auteurs, le résultat d’une axiologie, issue de la pensée républicaine, qui conduit à envisager l’institution politique sous le concept d’une association d’individus « abstraits » de toute dépendance confessionnelle, et tendus vers le partage de la raison universelle. Le principe de privatisation des religions, en second lieu : dans le système hexagonal, ajoutent-ils, la législation institue une séparation stricte des Églises et de l’État, dont le corrélat est de reléguer " les organisations et les convictions religieuses […] dans la vie privée ou la société civile", à distance de l’espace public d’État » (page 9).

« Le régime gallican des XVIIe-XVIIIe siècles se forge dans l’opposition aux revendications de la Cour de Rome (…) L’indique, de manière emblématique, la Déclaration du clergé gallican sur le pouvoir dans l’Église, dite Déclaration des Quatre Articles, rédigée à la demande de Louis XIV sous l’égide de Bossuet, et adoptée par l’Assemblée extraordinaire du Clergé de France en mars 1682. Le pape revendiquait une plénitude de puissance sur tous les domaines, directe au spirituel, indirecte au temporel. La Déclaration la lui refuse. D’une part, elle donne au roi, pourvu certes qu’il obéisse à Dieu, le pouvoir de régir à son gré l’ordre temporel, sans craindre l’ingérence du pontife romain. Le principe avait été posé déjà par Philippe le Bel, à travers son opposition à la bulle Unam sanctam de Boniface VIII (1302), elle-même prolongée par l’"attentat" d’Anagni (1303), et plus encore par Charles VII dans la Pragmatique Sanction de Bourges en 1438 » (pages 23-24).

« C’est le cœur même du discours de Bonaparte aux curés de la ville de Milan, le 5 juin 1800 : "Nulle société ne peut exister sans morale ; il n’y a pas de bonne morale sans religion ; il n’y a donc que la religion qui donne à l’État un appui ferme et durable" (page 45).

« Le discours que Guizot prononce à la Chambre des députés le 16 février 1832 résume parfaitement sa ligne : la religion "donne à tout gouvernement un caractère d’élévation et de grandeur qui manque trop souvent sans elle. […] Il importe extrêmement à la Révolution de Juillet de ne pas se brouiller avec tout ce qu’il y a de grand et d’élevé dans la nature humaine et dans le monde". La lettre qu’il adresse aux instituteurs, en accompagnement de la loi du 28 juin 1833 sur l’enseignement, va dans le même sens : "Partout où l’enseignement primaire a prospéré, une pensée religieuse s’est unie, dans ceux qui le répandent, au goût des Lumières et de l’instruction. Puissiez-vous […] trouver […] dans ces croyances dignes d’un esprit sain et d’un cœur pur, une satisfaction que peut-être la raison seule et le seul patriotisme ne vous donneraient pas" » (page 74).   

« la circulaire du 5 septembre 2011 (…) introduit même une interaction entre l’aumônerie et l’équipe médicale, selon un modèle d’ailleurs qui fonctionnait déjà dans les unités de soins palliatifs : "L’aumônier apporte son concours à l’équipe soignante ; […] sa présence, par la dimension éthique qu’il porte, est enrichissante pour tous. L’aumônier éclaire le cas échéant l’équipe médicale et soignante sur les implications que peuvent avoir certaines de leurs décisions au regard des convictions et pratiques religieuses des patients"» (page 233).   

« La ville de Tourcoing, alors sous majorité socialiste, a constitué en juin 2010 une structure (…): le Celve (Conseil extra-municipal de la laïcité et du vivre ensemble). Dans une ville qui a " la chance d’être riche de multiples cultures, de différentes religions ", il convenait de mettre en place, dans le cadre d’un " projet sociétal égalitaire et fraternel, refusant les exclusions, les discriminations, le racisme ou encore le repli communautaire ", une institution capable d’œuvrer à la " construction d’une société pluraliste, respectueuse de la diversité des origines, des trajectoires, des croyances et des pensées de l’ensemble de la population tourquennoise " . Appelé à se réunir en assemblée plénière tous les deux mois tout en s’agençant aussi autour de commissions thématiques, le Celve devait agir à trois niveaux : donner des avis sur les politiques municipales en matière de gestion de la diversité, assurer un rôle de veille sur les attentes des populations et faire même, de manière discrétionnaire, des propositions à la municipalité » (page 238).  

« Claude Guéant, a ainsi demandé aux préfets, par une circulaire du 21 avril 2011, d’installer, dans leurs départements (…) des conférences départementales de la liberté religieuse, appelées à se réunir "à un rythme régulier". Le texte de la circulaire comporte une explication de cette création, tout à fait significative de l’inflexion du modèle de laïcité que ces développements entendent décrire : "Même dans un régime de séparation, écrit le ministre aux préfets, il y a, et il doit y avoir dialogue entre les cultes et l’État. C’est le sens de cette conférence départementale qui rassemblera des élus locaux (association des maires, président du conseil général…), les responsables des services publics (inspecteur d’académie, organismes sociaux, centres hospitaliers, centres pénitentiaires…), ainsi que les représentants des cultes présents dans votre département." Sans exclure quelque "sujet d’intérêt local" que ce soit, le ministre insiste plus particulièrement pour que cette structure se saisisse des questions relatives à la création et à l’usage des lieux de culte, et aux aumôneries dans les services publics. Quelques associations laïques, comme Égale, ont demandé au successeur de Claude Guéant, Manuel Valls, d’abroger la circulaire, qui leur semblait participer d’une entreprise de réinstallation des Églises dans un statut d’officialité publique. Sans succès. Le nouveau ministre de l’Intérieur a reconduit les dispositifs existants, en les renommant cependant  "conférences départementales de la laïcité et de la liberté religieuse" (page 239).           

        

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

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