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En classe!

En classe!
Archives départementales du Gard70 pages
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Avis de Patricia : "L’école gardoise reflet du temps des classes dociles"

L’exposition “En classe !”, est visible aux Archives départementales du Gard du mardi 19 septembre 2023 au vendredi 31 mai 2024 (avec une fermeture la dernière semaine de décembre); elle propose gracieusement à ses visiteurs son catalogue d’exposition. Les documents présentés sont tous évidemment authentiques à l’exception d’un seul, à savoir le bonnet d’âne (ici reconstitué par pliage). Un visiteur a laissé comme témoignage, sur le livre d’or de l’exposition, qu’il avait personnellement subi cette punition dans les années soixante (sic). Non présenté iici, dans le même ordre d’idée humiliante, ceci dû aux difficultés d’écriture au porte-plume, il y avait l’élève qui faisait le tour des classes avec son cahier, ouvert à la page "cochonnée", attaché dans le dos.

 

Le Gard a joué un rôle de pionnier dans l’ouverture des Écoles normales avec la fondation à Nîmes de ce type d’établissement rue du Four-à-Chaux en 1831, soit deux ans avant que la loi Guizot n’oblige chaque département à avoir une École normale de garçons à créer individuellement ou conjointement avec un département voisin. L’établissement nîmois sera transféré rue de Sauve en 1856, puis rue Vincent Faïta en 1869. Ces derniers locaux servent actuellement à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) qui remplit la même mission que les Écoles normales, en élargissant toutefois sa formation aux enseignants du secondaire.

 

Les documents proposés dans l’exposition sont remarquables et certains d’entre eux sont heureusement repris dans le catalogue. Les discours à partie de ceux-ci sont fort intéressants. Il est fort judicieux d’évoquer les écoles primaires sous l’Ancien régime et c’est l’occasion page 11 de mettre en évidence que les maîtres et maîtresses sont alors nommés "régent" ou "régente"; Ernest Pérochon écrit d’ailleurs dans son ouvrage L'instituteur au début du XXe siècle qu’il était appelé ainsi avant 1914. Dans un département marqué par une rivalité entre protestants et catholiques, il était évident (et il l’est fait) de rappeler que le développement des écoles en France est une conséquence du fait que le concile de Trente entend contenir les poussées des parpaillots qui eux désiraient permettre à tout un chacun de lire Le Nouveau Testament dans sa langue maternelle.

 

Même si aucun document spécifiquement gardois ne pouvait l’illustrer, pour la monarchie capétienne une mention des Frères des écoles chrétiennes aurait été bienvenue. Ceci d’autant qu’en 1754, les Frères des Écoles Chrétiennes ouvrent localement leurs premières classes dans le presbytère de la Cathédrale de Nîmes et qu’à la veille de la Révolution celle qui allait devenir la préfecture du Gard compte trois écoles gérées par ces derniers. Refusant de prêter serment à la Constitution civile du clergé, ils ferment leurs établissements et ce n’est qu’en 1817 qu’ils reviennent à Nîmes car sollicités par le maire de la cité, à savoir le Marquis de Vallongue (personnage connu pour avoir mis fin dans cette ville aux exactions de la Terreur blanche qui visaient notamment les protestants). Après bien des vicissitudes, notre préfecture gardoise compte toujours un collège relevant de l’enseignement lasallien.

 

Pour mieux mettre en valeur l’effort de scolarisation qu’il fallut mener sous l’impulsion du Nîmois François Guizot, il aurait été souhaitable de préciser qu’au sortir du Premier Empire, le pourcentage de Français sachant lire a considérablement chuté par rapport aux chiffres de 1789. Nombre de jeunes hommes qui entendaient devenir régents sont partis sous les drapeaux et Napoléon ne souhaitait pas un peuple instruit. Le célèbre pédagogue suisse Pestalozzi, ayant demandé à l’empereur un rendez-vous pour sensibiliser celui-ci à la scolarisation, se fit répondre que le monarque n’avait pas de temps à consacrer à l’ABC.Sous la Restauration, portée par l’opposition libérale et laïque, on a le développement des écoles mutuelles; dans cette exposition, il y a malheureusement une impasse sur cet aspect. On trouvera sur le sujet un texte ”L'enjeu de l'école dans le Gard de la Révolution à la monarchie de Juillet” paru en 1994 dans Les Annales de la Révolution française, sous le plume de Anne-Marie Duport (chargée du Service éducatif des Archives du Gard de 1987 à 1998).

 

On apprécie le passage en revue des lois qui aboutirent progressivement à l’obligation scolaire puis à la sécularisation de l’enseignement: loi Guizot, loi Falloux, loi Duruy, lois Ferry, loi Goblet et lois Combes. Il est dommage de lire page 23 que la gratuité de la scolarisation est obtenue par l’action de Victor Duruy (ministre de Napoléon III), son caractère possible est  alors seulement renforcé. En effet les communes peuvent consacrer quatre au lieu de trois centimes (la loi Falloux introduisait cette dernière idée) pour payer les frais de scolarisation d’enfants indigents auprès de l’instituteur du ville (alors rétribué, pour une fraction, par ses élèves). Lorsque l’on se penche sur les courriers envoyés par les préfets dans les années 1870 pour inciter les communes afin d’utiliser cette possibilité, on peut voir qu’il y a refus de l’utiliser.

 

Toujours dans le même ordre d’idée, nous ajoutons personnellement qu’il faut savoir que c’est le décret-loi du 12 novembre 1938 qui crée des allocations familiales indépendantes du salaire et des entreprises. Avant cette date, la seule pression qui existe sur des parents qui scolarisent très épisodiquement leurs enfants est de les faire admonester par les gendarmes mais cela n’a pas de conséquences. On a des témoignages qui montrent qu’à la campagne, beaucoup ne vont en classe que de novembre à avril ou ne sont scolarisés que les deux ou trois premières années du primaire. À partir des années quarante, la menace de couper les allocations familiales a de l’effet et se traduit par une plus grande assiduité. Page 28, on signale la venue de Gaston Doumergue en 1913 pour inaugurer la nouvelle école de sa commune de naissance, en l'occurence Aigues-Vives. Il est alors ministre de l'Instruction publique et on sait qu'il sera ultérieurement le seul président de la République issu de la communauté protestante. 

 

Un autre regret de notre part est de ne pas avoir vu expliquer ce qu’était une École primaire supérieure alors que dans l’exposition au moins deux document en émanait. L’un d’entre eux est d’ailleurs reproduit page 48 du catalogue sans cette précision; de ce fait il peut laisser perplexe puisqu’on y voit, dans une exposition consacrée à l’enseignement primaire, un bulletin scolaire où l’élève se retrouve par exemple avec une note en langue vivante et une en physique. Surnommés les "collèges du peuple" ces établissements permettaient à certains élèves titulaires du certificat d’études primaires de préparer un brevet élémentaire permettant de passer des concours de fonctionnaires (dont celui d’entrée à l’École normale). Dans le même ordre d’idée, il y avait les Écoles pratiques du commerce et de l'industrie qui recevaient, pour trois années scolaires, des jeunes également dotés du CEP. Le gouvernement de Vichy sifflera la fin de ces structures afin de les faire passer d’un esprit d’enseignement primaire à celui d’enseignement secondaire avec un passage d’enseignants professant deux matières à une multiplication des professeurs allant à l’encontre de la cohérence des savoirs et vers un éloignement des applications concrètes de ce qui est enseigné.

 

Page 33, on présente une liste de livres condamnés, prétendument à la fin du XIXe siècle, sans légender par qui. En fait l’Église catholique de France, par la voix de certains de ses évêques, demande bien aux parents catholiques de ne pas accepter certains manuels en 1882, mais la liste fournie n’est pas la bonne car c’est celle d’une action similaire, avec un autre contenu d’ouvrages, datant de septembre 1909. Pour le même sujet, on aurait pu aller chercher dans le Bulletin de l’Instruction publique du Gard , la liste très limitative de livres scolaires autorisés pour ce département durant le régime de Vichy. Ces gouvernements collaborateurs prohibent alors en particulier tous les manuels édités par SUDEL (maison d’édition appartenant au Syndicat national des instituteurs) et un titre comme le roman scolaire À l’ombre des ailes d’Ernest Pérochon (parce qu’il met en scène un aviateur anglais sympathique). On apprécie beaucoup que huit pages soient consacrées aux écoles durant les deux guerres mondiales, on relève là l’évocation des instituteurs révoqués pour délit d’opinion. On ajoutera que les premiers gouvernements du Maréchal Pétain mettent à la retraite certaines institutrices mariées (pour leur imposer d’être femme au foyer), ce qui avec le nombre non négligeable d’instituteurs prisonniers de guerre amène une pénurie d’enseignant en partie comblée par le recrutement sans aucune formation de remplaçants.

 

La double-page consacrée à l’évolution de l’enseignement à partir des années 1960 permet de revenir sur le plan Langevin-Wallon qui portait des valeurs démocratiques ambitieuses avec notamment l’instauration d’un collège unique pour tous (objectif réalisé, mais dans d’autres conditions, en 1976) et une scolarisation obligatoire jusqu’à 18 ans. Une pédagogie active devait porter les divers enseignements. Nous ferons personnellement remarquer que mis-à-part dans les lycées (scolarisant alors dès la sixième), ce projet (jamais appliqué) n’eut comme prolongement que les classes nouvelles, qui furent rebaptisées classes pilotes; encore celles-ci eurent une durée assez éphémère.

 

Parmi les conséquences des évènements de Mai 168, il a été oublié deux dimensions capitales, à savoir qu’à la rentrée 1969 la mixité filles/garçons est devenue obligatoire à l’école primaire (elle était déjà effective dans certaines écoles mais pas dans toutes et dans le secondaire) plus l’abandon de l’écriture à la plume. Il ne faudrait pas croire que nos remarques pointues remettent en cause la grande pertinence du discours globalement tenu autour des documents présentés. D’autre part la bibliographie est très conséquente pour la dimension nationale de l’enseignement primaire, elle limitée par contre à quatre titres pour divers aspects concernant le Gard en général ou quelques-une de ses communes.

Pour tous publics Beaucoup d'illustrations

Patricia

Note globale :

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