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La Russie de demain à la lumière de son histoire littéraire

La Russie de demain à la lumière de son histoire littéraire
Les éditions de Paris Max Chaleil78 pages
1 critique de lecteur

Avis de Patricia : "La littérature russe jouera-t-elle un rôle de moteur dans l’avenir ?"

Dans son avant-propos, l’auteur avance que littérature et ordre politique d’un pays sont en corrélation. Il pense ainsi que l’esprit cartésien va orienter le centralisme français et que la littérature individualiste japonaise s’est bâtie en réaction à la société normative où elle est née. En Russie, il y a eu toujours deux branches en matière de lettres, l’une slavophile et l’autre occidentaliste. 

La première partie de l’ouvrage rappelle que la langue russe a été imposée à de nombreux peuples au fur et à mesure que la Russie s’agrandissait.

Le second volet du corps de ce livre essaie de d&gager les caractéristiques de la littérature russe. Quatre époques se dégagent : la tsariste, la soviétique jusqu’à la mort de Staline, celle courant de l’arrivée au pouvoir de Khrouchtchev à la fin de l’URSS et enfin les temps commençant dans les années 1990 pour aller jusqu’à nos jours.  

La littérature russe est née vraiment au XIXe siècle, en se détachant de récits hagiographiques religieux, avec (dans leur ordre de naissance) Pouchkine, Gogol, Tourgueniev,  Dostoïevski, Tolstoï et Tchekhov (né en 1860). On trouve alors souvent présente « la glorification de la paysannerie, soumise à de rudes contraintes existentielles que les moujiks acceptent avec humilité » (page 19). Dostoïevski écrit : « Ayez foi dans l’esprit populaire, et de lui vous viendra le salut » (page 21). Il n’y a pas de remise en cause fondamentale du régime tsariste quoique soient parfois mis en scène des victimes du système oppressif et dénoncée la corruption.

Toutefois Pouchkine dans sa pièce de théâtre Boris Godounov, a su poser la question de la légitimité du pouvoir et pointer la faculté du peuple russe à se laisser abuser.  Ce n’est qu’après la montée sur le trône de Nicolas II qu’apparaissent massivement des critiques du système politique et de la société. Gorki (né en 1868), dont le premier ouvrage paraît en 1898, est l’écrivain phare en la matière. Dans Le Village, Ivan Bounine  donne une vision acide de la paysannerie, rompant avec les idéalisations habituelles de celle-ci.      

La seconde période voit nombres d’auteurs choisir l’exil comme Ivan Bounine (qui vivra en France dans l’Entre-deux-guerres), Dimitri Marejkovski ou Nicolas Chectov. Il y a donc un littérature russe produite à l’étranger et une littérature russe composée en URSS. Michael Boulgakov a du mal à se faire publier et alors qu’il meurt en 1940, il faudra attendre les années soixante pour que les Moscovites puissent accéder à ses œuvres. Iouri Tyniavov (un des fondateurs de l’école formaliste en matière de critique littéraire) écrit prudemment des romans historiques mettant en scène trois maîtres du romantisme russe, dont un sur Alexandre Sergueïevitch Griboïedov assassiné le 30 janvier 1829 à Téhéran par une foule de fanatiques russophobes manipulée par les Anglais. Ossip Mandelstam ose écrire en 1933 L’Épigramme contre Staline dont le contenu est :

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.
Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.
L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.
Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète. »

Durant la troisième ère, paraissent à l’étranger des ouvrages écrits par des auteurs résidant en URSS comme Le Docteur Jivago de Pasternak ou certains titres de Soljenitsyne (une exposition est d’ailleurs consacrée à cet auteur à l’Historial de Vendée jusqu’au dimanche 9 juin 2024). Nombre d’auteurs de cette époque terminent ou passent une partie de leur vie en exil. L’amour de la patrie, déjà valorisée dans des œuvres évoquant l’attaque par Napoléon trouve un second souffle avec des récits autour de la Seconde Guerre mondiale.

Après la chute du communisme, les thèmes littéraires se diversifient. Des citoyens de la défunte URSS se retrouvent avec une nationalité non russe, mais écrivent dans la langue de Tolstoï, telle la Biélorusse Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature en 2015.  

La troisième partie tente de mesurer l’influence de la littérature sur le politique russe. Poutine a demoins en moins toléré les dissidences intellectuelles ou politiques. Lïoudmilia Outliskaïa, née le 23 février 1943 à Davlekanovo, a dû se réfugier à Odessa début avril 2022, ne pouvant rester dans une Russie où elle montrait son opposition à l’invasion de l’Ukraine. Maria Galina avait déjà quitté Moscou pour Odessa en 2021.    

Le dernier volet pointe l’émigration récente de beaucoup d’entre eux dans des pays proches ayant fait partie de l’URSS. Face à un pouvoir prônant le retour aux valeurs traditionnelles, des écrivains comme Viktor Peveline choisissent d’aller vers la science-fiction. Gilles Cosson essaie de dégager un rôle possible pour les écrivains et intellectuels dans l’avenir en Russie.Certains auteurs, qui vivaient en Ukraine, choisissent d'habiter en Russie comme Mikhaïl Elizarov. Face aux mutations technologiques, tous les peuples doivent s’adapter et inventer. Dans son épilogue, l’auteur avance que des changements doivent se profiler en Russie en matière d’éducation, de diversité politique, de multiculturalisme (la Russie ne compte pas que des orthodoxes, mais également nombre de musulmans et de bouddhistes). « Toute tentative de fermeture autoritaire de la pensée ne peut déboucher que sur le déclin » (page 73). 

Pour tous publics Aucune illustration

Patricia

Note globale :

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