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Vie et œuvre de Thomas Mann de 1875 à 1924

Vie et œuvre de Thomas Mann de 1875 à 1924
L'Harmattan362 pages
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Avis de François S.F. : "Thomas Mann et le conservatisme culturel"

Il manquait vraiment une biographie (chronologique et événementielle) concernant Thomas Mann. C'est le constat qu'a fait récemment Bertrand Dermoncourt dans son introduction à un recueil d'Écrits intimes de Thomas Mann (Plon, octobre 2025). Étrange coïncidence des faits, voici que je propose, comme en réponse à cet appel, la première biographie française historique et critique de l'auteur - biographie non romancée à la différence du très beau livre consacré par Colm Toíbin à celui que l'on appelait en famille - principalement sa fille et son fils aînés, Erika et Klaus - Le Magicien.
On a pléthore d'études et d'essais, mais pas de récit complet de sa vie, tout au moins pour la première partie de celle-ci, plus ou moins problématique aux yeux de certains puisqu'il s'agit de la phase durant laquelle Th. Mann en tenait pour le "conservatisme culturel", dont l'un des représentants éminents fut Theodor Fontane, l'auteur d'Effi Briest, dit le "Vieux Fontane", auquel Thomas Mann voua toujours une vive admiration tout au long de sa vie. J'évoque bien sûr plusieurs grands épisodes méconnus en France : la collaboration d'Heinrich et Thomas au début du XXe siècle à une revue violemment antisémite (Heinrich en fut l'un des derniers responsables) et la querelle entre Thomas Mann et Theodor Lessing abordée dans le détail (Samuel Lublinski, qui vantait les qualités du premier roman de Th. Mann, Les Buddenbrook, fut la "victime physique indirecte" de cette querelle) et un duel faillit avoir lieu entre Theodor Lessing et Thomas Mann, ce qui devait inspirer la nouvelle : Comment Jappe et Do Escobar se battirent. Je traite également quelques écrits bellicistes de Th. Mann non traduits en français et publiés au début de la guerre de 1914-1918 avant le livre sur Frédéric II de Prusse et les Considérations d'un apolitique. Je souligne aussi l'antidémocratisme de Thomas Mann jusqu'en 1922 : son épouse devait le tirer par la manche pour aller voter et il préférait les nationaux-libéraux aux démocrates. S'il se montra prêt au début de 1919 à pactiser avec certains membres des Conseils d'ouvriers et de soldats à Munich ce ne fut certainement pas par adhésion aux thèses communistes, mais parce qu'il se disait que les révolutionnaires marxistes pourraient faire obstacle aux projets revanchards des Français contre l'Allemagne vaincue en 1918 (il voyait alors dans les Bolchéviques, qui n'etaient assurément pas des démocrates, un possible parti pour empêcher de se réaliser le désir qu'il pensait être celui des Français, ces apôtres de la démocratie, d'anéantir la culture allemande considérée par lui comme essentiellement "apolitique"). Tout changea avec les soucis de santé de son frère Heinrich à l'extrême fin de 1921 et au début de 1922 (il avait épinglé ce dernier, grand admirateur de Zola et de la Révolution française, sous les termes de "littérateur de la civilisation" dans les "Considérations d'un apolitique") et surtout avec l'assassinat de Walter Rathenau, ministre des Affaires étrangères, par un groupuscule ultra-nationaliste en juin 1922. C'est alors qu'il prépara le discours prononcé à Berlin en octobre en faveur de la République de Weimar. Jusque-là, c'était la part sombre et pessimiste de l'âme allemande et de lui-même, celle qui s'était exprimée au travers de son admiration indéfectible pour Schopenhauer et pour Nietzsche qui avait eu le dessus, mais à compter de ce moment, il allait y avoir une vraie rupture, et il allait vouloir défendre la culture humaniste allemande, façonnée par Goethe, non plus contre les Français mais contre ces obscurs barbares que nous connaissons sous les noms de fascistes et de nazis. Véritable symbole de ce grand virage dans la vie de Thomas Mann, son attitude à l'égard d'Oswald Spengler, l'auteur du livre intitulé : "Le déclin de l'Occident" : il avait dans un premier temps déclaré dans son Journal personnel : "Ce livre est fait pour moi", il le jugeait d'égale importance au "Monde comme volonté et représentation" de Schopenhauer, mais il se mit à le vouer aux gémonies quand il découvrit que Spengler invitait la jeunesse allemande à tourner le dos à la culture pour se vouer à la technique, ce qui était tout le contraire de ce qu'il fallait faire selon lui. Autre fait significatif : il allait devoir prendre quelque distance avec l'un de ses meilleurs amis, Ernst Bertram, dont il avait fait le parrain de sa fille préférée Elisabeth Veronika, lorsque Bertram se rapprocha du mouvement national-socialiste.
Voici, entre autres quelques-uns des thèmes abordés dans le livre où l'on trouvera aussi une critique des premiers grands "opus" de Thomas Mann : Les Buddenbrook, Tonio Kroger, Altesse Royale et La mort à Venise. Mais ce n'est pas là, bien sûr, tout ce que vous allez découvrir, car le livre retrace l'itinéraire personnel de l'homme et de l'auteur dans le temps et l'espace compris entre les deux bornes chronologiques de l'ouvrage (1875 - 1924). Le terrain n'avait pas été totalement exploré de ce côté-ci du Rhin. On passait trop vite à l'après-1922 dans beaucoup d'écrits en français. Littérairement, c'est La Montagne Magique qui est l'opus de transition, où les débats d'après le premier conflit mondial sont évoqués comme s'ils avaient eu lieu avant 1914 et sont le reflet d'une incertitude quant à ce que devait devenir l'Allemagne dans les années 20 : allait-elle pencher à gauche ou à droite, voire à l'extrême droite ?
Notez enfin que cette Vie et œuvre de Thomas Mann arrive à la publication à l'extrême fin de cette année 2025 qui aura été celle du cent cinquantième anniversaire de la naissance de ce grand écrivain allemand (6 juin 1875).


François Sarindar-Fontaine
coup de coeur ! idé cadeau

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