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Charles V le Sage ou les limites d'un grand règne

Charles V le Sage ou les limites d'un grand règne
L'Harmattan, collection Historiques, série Travaux462 pages
1 critique de lecteur

Avis de François S.F. : "Sans le mythe, cela va mieux"

On m'a demandé de faire moi-même la présentation de mon quatrième ouvrage, exercice auquel je me livre avec plaisir. Je vais le faire de manière à dire immédiatement ce que j'apporte de neuf au sujet de ce roi encensé depuis le XIVe siècle. Il s'agissait d'abord et avant tout de sortir d'une chronologie étroite et bornée par la naissance et la mort de Charles V (1338-1380), de manière à situer son règne dans le long cours de la guerre de Cent Ans et de voir ce qui a été fait après lui de tout ce qu'il nous a appris et laissé. Pour cela, il m'a fallu pointer ce qui n'a pu être achevé de son vivant, du fait d'un règne assez bref (1364-1380), ce qui fait qu'une guerre de cinquante ans ne put être achevée et fut condamnée à devenir une guerre de cent ans et plus (et de cela, bien sûr, en raison d'une santé délicate, il ne fut que partiellement responsable). Lui qui ne fut pas un roi guerrier ou un roi-chevalier, comme le furent beaucoup de ses prédécesseurs et quelques-uns de ses successeurs, mais un roi de cabinet, partisan d'une guerre de reconquête sans exposition en bataille rangée, afin de ne pas rééditer les désastres de Crécy (1346) et de Poitiers-Nouaillé-Maupertuis (1356), il réussit l'impossible, à savoir, en rompant subtilement avec le honteux et humiliant traité de Brétigny (1360), sans avoir l'air d'être parjure, à assurer entre 1369 et 1380, la recouvrance des provinces perdues à la suite de la signature de cet accord de paix avec les Anglais (ruse qui fit dire à ces derniers qu'il était un "roi avocat"). Comment s'y prit-il pour arriver à ce beau résultat ? Tirant les leçons des cuisants échecs subis par son grand-père Philippe VI de Valois, et son père Jean II le Bon (c'est-à-dire le brave), il interdit le plus possible aux lieutenants et capitaines de son armée de rencontrer l'ennemi en bataille publique, et à cette stratégie frontale, il préféra une tactique de grignotage, de harcèlement et de guerre de siège en position de force là où les Anglais et Anglo-Gascons étaient en infériorité de moyens et d'hommes. Les ripostes anglaises, sous forme de "chevauchées", c'est-à-dire de traversées de territoires faites de pillages et de destructions, dans l'espoir de provoquer les armées du roi de France au choc d'une armée contre l'autre, ne donna pas le résultat escompté puisque le Sage roi refusait obstinément de tomber dans le panneau en faisant obligation aux populations rurales et aux hommes d'armes, selon une formule que j'ai eu plaisir à trouver, de "s'encoquiller" dans les places fortes et châteaux et derrière les remparts des villes constamment renforcés, en pratiquant non pas la politique de la terre brûlée mais plutôt celle des campagnes vidées.

Cependant, cette manière un peu détournée mais payante pour le moment de faire la guerre, laissait aux Anglais la possibilité de revenir puisqu'ils ne cessaient de le faire, même si leurs expéditions se faisaient en pure perte et coûtaient fort cher aux contribuables d'Édouard III et de son successeur. Elle laissaient d'autant plus le royaume de France exposé à ces retours permanents que l'adversaire tenait les grands ports : Calais, Cherbourg (point tenu par les hommes de Charles II de Navarre, possessionné en Normandie vers Évreux et dans le Contentin), Brest, La Rochelle, Bordeaux et Biarritz, ce qui faisait autant de portes d'entrée sur le continent. Lors des campagnes de reconquête, Charles V le Sage réussit toutefois à récupérer La Rochelle. Mais enfin, le roi de France s'il avait annulé les conséquences du traité de Brétigny en termes de pertes territoriales, ne put pousser plus loin, du fait de la brièveté de son règne et de sa vie.



J'ai, dans mon récit, pointé quatre erreurs commises par Charles V vers la fin de son règne :

1/ La volonté d'annexer le duché de Bretagne. Grossière erreur qui lui aliéna un temps la sympathie du parti des Blois-Penthièvre et qui éveilla l'envie de rester neutre chez un certain nombre de Bretons du secteur de Rennes. De plus, il y eut le trouble jeté dans l'esprit du roi par son conseiller et ami Bureau de La Rivière qui lui laissa entendre que Bertrand du Guesclin en personne, connétable de France, était devenu l'homme de Jean IV de Bretagne (Jean de Montfort), allié des Anglais et précédemment vainqueur à Auray en 1364, ce qui avait contraint Charles le Sage à signer avec lui le premier traité de Guérande qui reconnaissait la tenue du duché de Bretagne par Jean contre la promesse par ce dernier de n'avoir plus commerce avec les Anglais. Les accusations portées par Bureau de La Rivière contre Du Guesclin eurent à mon avis de graves conséquences sur les relations entre le roi et son connétable et je me demande dans quelle mesure elles n'abrégèrent pas les jours des deux hommes, même si la mort de Bertrand a des causes directement liées à l'absorption d'une eau trop froide ou peut-être infectée alors qu'il faisait le siège de Châteauneuf-de-Randon le 13 juillet 1380 et même si le souverain a été terrassé par une crise cardiaque le 16 septembre de la même année en sa résidence de Beauté-sur-Marne. Je pense que la querelle ou la blessure du soupçon a fragilisé les deux hommes. Pour se faire pardonner, Bureau de La Rivière, revenu un moment au Conseil sous Charles VI le Fou, a exécuté la volonté exprimée par le roi de faire reposer le squelette de Du Guesclin près de celui du souverain défunt dans la nécropole des rois à Saint-Denis, répondant à l'habitude de tripartition des corps à l'époque. Or, les mythes de Du Guesclin et de Charles V étaient en concurrence après leur mort : un certain Cuvelier avait écrit un poème presque interminable à la mémoire de Du Guesclin et Philippe le Hardi, frère de Charles et duc de Bourgogne ne voulant pas laisser toute la gloire réservée au seul connétable fit appel à Christine de Pizan pour faire l'éloge de Charles V (ce sera le Livre des faits et bonnes mœurs du Sage roy). De nos jours, on loue beaucoup plus Charles V et on a parfois tendance à démonétiser Du Guesclin : les Bretons bretonnants, admirateurs de Jean de Montfort présentent Du Guesclin comme "An Trubard" (le traître, au service du roi de France), tandis qu'un Édouard Perroy dans son livre sur la guerre de Cent Ans et Philippe Contamine, sous forme de question, dans un article fort célèbre publié par la revue L'Histoire : Du Guesclin, la gloire usurpée ?, de manière certes plus subtile, se demandaient si le connétable méritait tant d'honneur et de gloire. Je leur objecte, et c'est l'un des apports importants de mon livre, qu'en vertu du proverbe qui dit qu'à tel serviteur correspond tel maître, Charles V le Sage ne pouvait pas avoir choisi un médiocre mais bien l'homme idoine qui allait appliquer sur le terrain, aux côtés de Louis d'Anjou, ses idées stratégiques et tactiques. Donc, on ne pouvait que leur rendre pareillement et également hommage.

2/ L'abolition des fouages (impôt par feu ou foyer pour les besoins de la guerre). Charles V, bourrelé de remords les supprime sur son lit de mort pour avoir la conscience en paix au moment de rendre son âme à Dieu. Autrement dit, demain on peut raser gratis. Évidemment, les impôts furent rétablis et cela entraîna des commotions populaires derrière des révoltes bourgeoises : le règne de Charles V en fut encadré par celle d'Étienne Marcel en 1356-1358 et par la Grande Jacquerie en 1358 d'une part, et par les révoltes des Tuchins, de La Harelle, des Flamands, des Cabochiens après 1380 d'autre part, et il importait de remettre tout cela en perspective.

3/ Les mauvais conseils du cardinal Jean de La Grange qui voulait faire élire un pape français (l'antipape Clément VII) et le faire revenir sur les bords du Rhône, en Avignon, alors que la Papauté était déjà retournée sur les bords du Tibre et que l'on avait placé Urbain VI sur le trône de Saint Pierre, eurent des répercussions vraiment négatives ; cette erreur dans laquelle fut entraînée Charles V le Sage eut pour conséquence le Grand Schisme en Occident.

4/ Les querelles de famille apparues sitôt le roi mort, des querelles engendrées par la succession de Charles V : le monarque, comprenant qu'il ne vivrait guère longtemps, croyait avoir tout prévu en fixant de son vivant par ordonnance l'âge de majorité du successeur et en organisant un conseil de régence. Las, c'était compter sans le caractère des hommes : Louis d'Anjou, incapable de bien gouverner travaillé qu'il était par son attirance pour le royaume de Naples, véritable tropisme et point de fixation jusqu'à sa mort, et incapable d'assurer sa primauté au conseil en tant que frère puîné de Charles V face à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, fragilisa le processus. Louis d'Anjou parti, Philippe le Hardi se brouilla avec Louis d'Orléans frère de Charles VI. Puis en novembre 1407, après maints démêlés, Louis d'Orléans fut assassiné sur les ordres de Jean Sans Peur, fils et successeur de Philippe le Hardi à la tête du duché de Bourgogne. On connaît la suite, la fameuse querelle des Armagnacs et des Bourguignons, et le fait que, profitant de ces brouilles intestines, le roi d'Angleterre Henry V s'introduisit dans le jeu et rouvrit les hostilités avec le royaume de France. Henry V débarqua au Chef de Caux, près de Harfleur, en Normandie, précisément donc dans l'ancien duché de Charles V avant qu'il ne coiffât la couronne royale et qu'il garda tant qu'il régna. Le 25 octobre 1415, ce fut pour l'armée de Charles VI le Fou, la très dure défaite d'Azincourt. Les leçons de Charles V le Sage avait été totalement oubliées.

C'est tout ce qu'ont omis de rappeler Roland Delachenal et Françoise Autrand dans leurs biographies du Sage roi - ne leur en tenons pas trop rigueur cependant car ils ont écrit de bons livres - mais que j'estimais devoir souligner, montrant ainsi les limites d'un grand règne et faisant œuvre d'historien tout en étant de fait un historien indépendant, sans les diplômes qui vont avec, mais non sans sérieux et avec méthodologie et volonté de nous sortir du récit national qui avait statufié Charles V le Sage. J'ai pour ce roi la même et grande admiration qu'il m'inspirait dans ma jeunesse, mais j'ai écrit sur lui, je le pense, avec lucidité et avec réalisme.

François Sarindar
idé cadeau

Pour connaisseurs Aucune illustration Plan chronologique

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