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Les travailleurs chinois recrutés par la France pendant la Grande Guerre

Les travailleurs chinois recrutés par la France pendant la Grande Guerre
Presses universitaires de Provence357 pages
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Avis de Adam Craponne : "Les Chinois avec nous, mais pas au front"

Yves Tsao a consulté de nombreuses archives afin de nous proposer un excellent ouvrage qui permet d’approfondir considérablement la question et qui donne des bases à des historiens locaux afin de prolonger une recherche dans le cadre d’un département. Pour ce qui est des documents issus de ressources de dimension nationale, on relève en particulier celles du Centre d’archives de l’armement et du personnel civil de Châtellerault dans la Vienne, les archives diplomatiques de Nantes et de La Courneuve, les archives du monde du travail à Roubaix. De plus, il s’est rendu dans une quinzaine de départements et a regardé les dossiers en rapport avec le sujet. Pour trois d’entre eux, il a trouvé des articles parus en plus dans au moins un journal local, pour revenir sur la Vienne ce fut L’Écho du Poitou.  Les deux autres départements en question sont situés près du front, et partiellement occupés, il s’agit de l’Aisne et du Pas-de-Calais.

L’auteur s’attache à expliquer quand, comment et où (on voit de quelle partie de la Chine ils proviennent, le Fujian et le Zhejiang sont d'ailleurs absents, la Chine côtière du nord est surreprésentée à l'exception de sa partie relevant de la Mandchourie) se fait le recrutement. La Chine n’est pas encore en guerre contre l’Allemagne (c'est seulement le 14 août 1917 que ce pays entre dans le conflit aux côtés de la France) aussi c’est une entreprise privée qui se charge de trouver des travailleurs à partir de l'été 1916, en aucun cas l’armée française ne doit les utiliser comme combattants. On bien quelques Chinois dans la Légion étrangère mais cela relève d’un autre type d’engagement. Ainsi nous avions personnellement trouvé  un officier sorti de l’école militaire de Nankin, signant à 23 ans son engagement à Hanoï en 1917. Il est blessé à la tête en mars 1918, gazé en juin et décède en septembre 1918 à Jaulzy dans l’Oise comme un dossier du Secrétariat chargé des Anciens combattants et Victimes de guerre nous l’apprend.

Leur voyage est évoqué. On découvre ensuite où, à quelles tâches et dans quelles conditions matérielles, nos fils de l’Empire du milieu sont employés. On note une présence de travailleurs chinois dans la moitié des départements chinois. Ils sont souvent dans des usines, dont certaines poudreries, et dans les transports. Seuls dix pour cent d’entre eux ont été détachés auprès de l’armée, en interprétant  abusivement les termes de leur contrat ; dans la zone des armées (derrière la zone du front) ils s’occupent entre autre d’entretenir les voies de communication, peuvent conduire des véhicules et sont employés à scier des arbres afin de donner du matériel pour consolider les tranchées. Ce sont de ceux-là dont parle Louis Herbelin est expert-syndic au tribunal de commerce de Belfort, ville où ils sont au nombre de 190 en septembre 1918 (page 100). D’après nos propres recherches aux archives départementales de Belfort, il écrit dans son journal à la date du 19/5/1918 ceci:

« C’est un spectacle vraiment curieux de voir un dimanche (aujourd’hui par exemple) les ouvriers chinois. À l’entrée du fort Hatry, il y en a tout un cantonnement ; isolés ou par groupes, ils sortent tous avec une serviette bariolée à la main ou autour du cou, quelques-unes la portent en ceinture. Ils se ressemblent presque tous de figure, mais il y en est qui font les élégants : culotte longue, veston bien boutonnés et chapeau melon sur une tête bien tendue. La Grande Guerre est passée de mode, elle ne ferait d’ailleurs que les gêner. On s’en souviendra longtemps, après la guerre des fils du soleil levant [sic], mais d’aucun disent qu’ils aiment encore mieux voir les nègres du Soudan ou encore les nègres et mulâtres de l’armée américaine. Et je suis bien prêt d’être de leur avis. Les jeunes sont aussi laids, si ce n’est plus que les noirs ».  

Les travailleurs chinois sont 37 000 à être venus afin d’être employés par les Français à la fin du conflit, l’armée anglaise en utilise le double. En effet en 1917 des nationalistes chinois demandent à la population de boycotter divers produits français et à ne pas s’engager auprès des entreprises de recrutement sous tutelle française pour aller travailler outre-mer afin de soutenir l’effort de guerre français. À Tianjin, les Français ont étendu illégalement leur concession autour de la cathédrale et même les catholiques chinois, avec à leur tête le missionnaire belge Vincent Lebbe ont protesté (page 50-52).

Par ailleurs, aux pages 152-153 et 343, autour de la question du recrutement d'interprêtes (chinois et occidentaux), on nous explique d'abord qu'en servant dans l'armée anglaise comme traducteur on est bien moins payé sur place et qu'en plus la famille restée en Chine reçoit une allocation menseuelle. D'où l'appel à des militaires français, mais on n'en trouve que vingt, et à des missionnaires ayant vécu en Chine. L'ouvrage ne l'évoque pas directement (on le devine toutefois page 343) mais des Chinois de Canton, de Shahghai ou de Pékin ne se comprennent pas du tout, d'où la nécessité d'avoir des interprêtes possédant ensemble plusieurs dialectes.  

Les bagarres entre Chinois et Français sur leur lieu de travail ne sont pas chose rares ; dans l’Yonne, l’Aisne et la Vienne (à Châtellerault) après une altercation entre deux individus on passe à une quasi émeute de l’ensemble du personnel chinois (page 245).  On nous informe également sur le nombre possible de Chinois qui restèrent en France après 1919 ; pour continuer à y résider légalement il y avait des conditions financières exorbitantes par rapport à un salaire d’ouvrier.   On estime que 1 500 Chinois sont restés dans l’hexagone pour y faire leur vie.

Pour connaisseurs Aucune illustration

Adam Craponne

Note globale :

Par - 734 avis déposés - lecteur régulier

400 critiques
25/04/18
Des Chinois pour l'effort de guerre. Document filmé de 1918.
https://www.dailymotion.com/video/x75z68
734 critiques
02/08/18
Les rêves brisés des Chinois de 1917
https://actu.fr/loisirs-culture/les-reves-brises-des-chinois-de-1917_5492269.html
461 critiques
13/01/21
En 1917, jusqu'à 200 000 Chinois vivaient en Russie, réalisant des tâches éreintantes dans l'industrie, l'agriculture et la construction. Avec l'aide de cette main-d'œuvre bon marché, activement recrutée en Chine, le gouvernement tsariste tentait de résoudre les pénuries de main-d'œuvre causées par la Première Guerre mondiale.
https://fr.rbth.com/histoire/85814-chinois-aide-bolcheviks
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