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L'insomnie des étoiles

L'insomnie des étoiles
Folio256 pages
1 critique de lecteur

Avis de le club du roman historique : "Bien"

Un roman avec des anonymes
Marc Dugain excelle dans la mise en scène de grandes figures historiques (Hoover et Kennedy dans La Malédiction d'Edgar et Staline dans Une Exécution ordinaire). Avec L'Insomnie des étoiles, nous restons certes dans le cadre de l'Histoire, mais les personnages sont de simples anonymes, des gens comme vous et moi, ce qui rend ce roman d'autant plus terrifiant, mais je reviendrai sur cet aspect un peu plus loin.

Un titre énigmatique
Je devine qu'une question vous taraude immédiatement l'esprit : pourquoi ce titre pour le moins étonnant ? Au cours du roman, l'on apprend que le capitaine Louyre, l'un des personnages principaux, est astronome dans la vie civile et l'on peut supposer que si ces étoiles font des insomnies, c'est peut-être parce qu'elles nous observent de là-haut et sont terrifiées par ce qu'elles ont vu… un véritable cauchemar. Oui, un cauchemar, car ce roman nous plonge dans les années sombres du nazisme en ce focalisant non pas sur les grandes manoeuvres militaires ou politiques, mais sur l'attitude de la population d'une petite ville allemande.

Un thème rarement traité
L'action de ce roman se déroule en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans le sud de l'Allemagne. Depuis le départ de son père pour le front russe, Marie, adolescente, vit seule dans la ferme familiale, perdue au milieu de la forêt. Sa mère se trouve en maison de repos. Son isolement est d'autant plus fort qu'elle a perdu ses lunettes, la privant de la lecture des lettres que lui envoie son père. Elle survit grâce à de maigres réserves de pommes de terre et d'oignons.
C'est dans ce contexte qu'intervient une bande de pillards commandés par deux policiers nazis qui font irruption dans la ferme et la saccagent : Maria ne doit sa survie qu'au comportement trouble d'un des policiers, qui lui laisse un fardeau lourd à porter, au sens propre comme au sens figuré : un membre de la bande est violé puis abattu par ce policier sous les yeux de la jeune fille cachée dans la grange.
Quelque temps plus tard, lors d'une patrouille, la troupe française du capitaine Louyre, qui est chargé d'administrer la région, découvre cette ferme isolée et cette jeune fille affamée, hirsute et hagarde… mais aussi une caisse contenant des ossements humains calcinés. Qui est cette jeune fille ? Que s'est-il passé ? Qui est mort ? Le capitaine décide de mener l'enquête malgré les réticences de sa hiérarchie pour qui cette affaire n'est qu'un vulgaire petit fait divers. Logée au sein de la garnison de la ville dont le capitaine est chargé d'assurer l'ordre et la sécurité, Maria se livre peu à peu. Mais, très vite, le capitaine pressent qu'il s'est passé un drame épouvantable dans cette ville très calme en apparence, mais où règne une atmosphère étrange, lourde et poisseuse. Intrigué par la grande maison de repos située sur les hauteurs de la ville, aujourd'hui désaffectée alors que les blessés ne manquent pas, le capitaine interroge le maire puis l'ancien directeur de l'établissement… Le capitaine va alors découvrir que cette maison de repos a été le théâtre d'un massacre organisé à une vaste échelle dont la mère et le père de Maria ont été les victimes directes ou collatérales (selon la terminologie actuelle !).
À partir d'un fait divers en apparence anecdotique compte tenu des millions de morts de la Seconde Guerre mondiale, Marc Dugain aborde un volet rarement traité de l'idéologie nazie : l'élimination des handicapés et des malades mentaux.

Un roman en deux parties de qualités inégales
Ce roman est construit en deux parties : la première est centrée autour du personnage de Maria, de sa vie au quotidien à la ferme et de son isolement ; la seconde, parfois un peu trop didactique, évoque les atrocités commises par les nazis au nom de la pureté de la race (eugénisme). L'articulation entre ces deux parties est un peu radicale : on bascule directement et sans transition de l'enquête sur les ossements humains découverts à l'enquête sur la maison de repos. Et le personnage de Maria est un peu éclipsé dans cette seconde partie, ce que j'ai regretté, car il est attachant dès le début du roman. Mais les pages où le directeur de la maison de repos, le docteur Halfinger, révèle sans aucun remords les actes qu'il a commis et exprime ses convictions sont particulièrement fortes et oppressantes, car elles nous mettent face à notre propre violence, notre propre folie et aux extrémités auxquelles elles peuvent nous mener. Marc Dugain nous montre ici l'âme humaine dans toute sa noirceur et sa lâcheté.

Une atmosphère glauque très bien retranscrite
L'ensemble du roman, souvent en huit clos, baigne dans une atmosphère pesante, fétide et lourde, comme une chape de plomb, une atmosphère retranscrite grâce à l'utilisation d'un style âpre, minéral, sobre, distant, quasi clinique, sans mélodrame ni lyrisme. Heureusement, deux personnages offrent tout au long du roman une bouffée d'air, une note d'humanité et d'espoir, un réconfort et tirent le roman vers un peu de lumière : le capitaine Louyre, intellectuel mélancolique, placide et sans illusion sur la nature humaine, et Maria, adolescente acharnée à survivre quels que soient les sacrifices nécessaires pour cela. Toutefois, les protagonistes sont eux-mêmes imprégnés par cette froideur vis-à-vis du lecteur : ils ne se dévoilent guère et ne sont que peu caractérisés. Cela est compréhensible et nullement gênant pour la plus grande partie du roman, mais j'aurais aimé qu'ils prennent un peu plus de couleurs à la fin, qu'on les sente revivre, prendre du volume, car, petite déception, je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages qui sont restés un peu inconsistants.

Un roman saisissant, qui prend aux tripes et qui continue d'interpeller le lecteur une fois le livre refermé.

Note globale :

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