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Belfort ancien arrondissement du Haut-Rhin annexé et la reconquête des provinces perdues Alsace-Lorraine

Belfort ancien arrondissement du Haut-Rhin annexé et la reconquête des provinces perdues Alsace-Lorraine
Société belfortaine d’émulation270 pages
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Avis de Octave : "Premier mort, kilomètre zéro du front, fusillés pour l'exemple, clairon de l'armistice... Le territoire de Belfort a beaucoup à nous apprendre sur la Grande Guerre"

Dans un large format et avec un nombre de pages conséquent, une fois encore la Société belfortaine d’émulation nous apporte des informations inédites et fort significatives autour de la Première Guerre mondiale et à la marge sur ses immédiates conséquences.

Le premier article est de Jean-Christophe Tamborini, il dresse un tableau de la vie du Territoire de Belfort (alors appelé "Haut-Rhin resté français") sur toute l’année 1914. On retiendra que, sur les deux députés élus au printemps 1914, celui des communes rurales est un républicain libéral (donc largement ancré à droite) Louis Vieillard. Ce dernier embauche, en tant que patron des Tuileries de Froidefontaine, des ouvriers polonais (vraisemblablement de nationalité allemande). Dans les meetings socialistes de cette Belle Époque finissante, un temps est systématiquement réservé, à l’initiative de Rose Pétrequin (fille d’un vieux militant socialiste du Doubs et épouse de Louis Octave Frossard instituteur révoqué en 1913 pour actions pacifistes), aux questions féministes. Justement dans "Germinal", journal dirigé par Louis Oscar Frossard, on goûte à l’humour de faire passer l’assassinat de l’archiduc d’Autriche-Hongrie à Sarajevo pour un accident du travail. Et on en tire les conclusions qui suivent :

« Par conséquent, les travailleurs ne doivent pas s’intéresser au sort des victimes de la haute pègre couronnée puisque celle-ci se désintéresse du leur » (page 13).

Il est à noter que le frère du capitaine Dreyfus, qui dirige une usine dans une commune limitrophe de Belfort, est toujours inscrit au carnet B ; ce dernier recense étrangers et Français susceptibles d’activités de renseignement ou de propagande antimilitariste.

Souhaitant éviter, à la population civile, des privations semblables à celles du siège de 1870, le général Thévenet commandant de la place de Belfort, fait évacuer celle-ci. Beaucoup reviendront clandestinement régulièrement entre décembre 1914 et  le 1er septembre 1915 (où l’interdiction est alors levée du fait de l'assouplissement de l'état de siège).

Jean-Christophe Tamborini s’appuie beaucoup sur le journal tenu par Louis Herbin et il faut remercier Jean-Christophe Pereira de fournir des informations sur ce dernier dans un article consacré à ce journal. André Dubail montre que le kilomètre zéro du front ouest est le fruit d’un choix stratégique à la fin août 1914 du général Thévenet. Là à Pfetterhouse, village alsacien frontalier de la Suisse, le front ne bougera plus pendant quatre ans.

« Pour sauver Nancy, Joffre sacrifia Mulhouse et mit Belfort en grave danger, Thévenet se sentait abandonné. Que pouvait-il faire avec sa seule 57e division de réserve ? Défendre la place ! Mais les Allemands venaient de faire la preuve en Belgique, que leur artillerie lourde se jouait des forts les plus modernes. Pour éviter le désastre d’un siège, le gouverneur de Belfort, dès qu’il eut à sa disposition quelques régiments de troupes territoriales, porta les premières lignes de défense de la place sur la frontière franco-allemande, à trente km des forts. (…) Le général traça sur la carte une ligne droite allant du Hartmannswillerkopf à Pfetterhouse à la frotière suisse. Ce sera, à quelques détails près, le tracé du futur front » (page 114). On se reportera sur cet aspect du front à notre critique de "Bécassine pendant la Guerre".

Un des articles les plus intéressants est celui de Marc Glotz ; il tourne autour des deux premiers morts du conflit le 1er août sur l'espace qui allait devenir le front ouest (la déclaration de guerre date du 2). Ce sont le caporal Peugeot (instituteur dans une commune du Doubs assez proche de Belfort) et le sous-lieutenant Albert Mayer. Un intelligent tri est fait autour des traits de caractère qui leur sont attribués et sur les circonstances de leur mort. Si la version française de wikipedia qui lui est consacré a corrigé récemment un certain nombre d'âneries le concernant (largement reprises par les conseillers du président Sarkozy en 2008), il reste encore du travail à faire en s'appuyant sur ce lumineux article de la revue belfortaine. On apprend ainsi qu'Albert Mayer passe son Abitur (équivalent du baccalauréat à Magdebourg) et qu'il n'est pas un foudre de guerre.

Parmi les autres textes, nous avons retenu personnellement celui de Thierry Egret sur les constructions défensives réalisées en Haute-Alsace en 1915, celui de Laurent Tatu (d'ailleurs auteur de l'ouvrage "La Folie au front : la grande bataille des névroses de guerre (1914-1918)" à propos des services de santé dans ce département. Ce dernier s'appuie sur les témoignages d'ailleurs récemment réédités de l'aspirant Laby (chez Bayard) et de Léonie Bonnet (aux éditions Albret). Laurent Tatu évoque là les exécutions le 7 avril 1916 à Boron (situé à dix km du front) d'Auguste Ghys et Jacques Gauthier (le premier parisien, le second limousin) car ces deux soldats furent accusés de s'être injectés du pétrole dans le genou pour provoquer un abcès). L'article de le précise pas mais ce fait a été prétexte à l'écriture d'une pièce de théâtre joué localement en novembre 2014.

Page 251, l'article "Une histoire méconnue de la Grande Guerre à Bavilliers" nous apprend que la neutralité suisse a pu concrètement se traduire par la vente de courant électrique tant du côté français que du côté allemand pour alimenter les barbelés électrifiés dans la Haute-Alsace. Dans le texte "Quel avenir pour l'Alsace-Lorraine, on apprend que Clemenceau avait pleinement confiance en son secrétaire d'état Jules Jeanneney (député d'une circonscription de la Haute-Saône voisine) au point de dire : « M. Jeanneney, c'est moi » (information prise dans la biographie de Jean-Baptiste Duroselle sur Clemenceau, à la page 634). On rajoutera personnellement que cela valut au fils de ce Jules de voir figurer son enfant Jean-Marcel le 14 juillet 1919 aux côtés de Clemenceau sous l'Arc de triomphe. De la contribution "L'Alsace durant la Grande Guerre" livrée par Philippe Vogel, on retiendra que le général français Reibelle est le cousin du seul général alsacien de l'empire allemand à savoir Heinrich Scheüch (1864-1946) et de l'article "Histoire d'une fidélité. La propagande française et la question d'Alsace-Lorraine pendant la Première Guerre mondiale" on notera le rôle de l'Association des Alsaciens-Lorrains d'Amérique comme relais de la propagande française aux USA dans le soutien de Wilson à l'idée d'un retour de l'Alsace-Lorraine à la France (ceci met d'ailleurs à plat le prétendu rôle de l'ancienne impératrice des Français dans cette perspective).


 

Pour tous publics Beaucoup d'illustrations

Octave

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734 critiques
21/08/16
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