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Souvenirs de guerre 1915-1920

Souvenirs de guerre 1915-1920
Société des écrivains308 pages
1 critique de lecteur

Avis de Octave : "De gueules cassées et de soldats angoissés, de Nivernais et d'Albanais"

Benoît  Lefort, petit-fils d’Édouard Lefort, assure la préface. Il rappelle que ce dernier est mort en 1963, une postface nous en dit encore un peu plus précisant que né en 1896 et a travaillé dans une confiserie parisienne avant et après la Première Guerre mondiale. Peut-être dans les environs de 1930, la confiserie ferme et il travaille pour une compagnie d’assurance toujours à Paris mais il habite alors à Cerny, non loin d’Étampes (donc aujourd’hui dans l’Essonne, voir à ce propos l'utilisation de deux citations de l'ouvrage à http://www.essonne.fr/fileadmin/sports_loisirs/Archives_departementales_2009/centenaire/Les_combats_et_l__attente.pdf).   

Voici en italiques les deux extraits de l’ouvrage en question :

« Préparez–vous à partir de la tranchée dans un quart d’heure ! »

Du coup, je me suis vite réveillé, façon un peu brusque de prendre la réalité des choses…  Dernier examen de mon fusil, les dix cartouches sont dans le magasin, les cartouchières prêtes pour la recharge. J’ai mes grenades à portée de main, une dans chaque poche de ma capote.

 

Mon voisin Moret me fait ses dernières recommandations:

- « Tu sais mon vieux, si je suis tué, prend mes papiers et envoie–les à ma femme à Paris ».

 

Toutefois le passage le plus émouvant  est celui partiellement cité en quatrième de couverture où Édouard Lefort raconte qu’il craint d’agoniser sans être secouru le 19 avril 1917 devant Monastir :

Je regarde mes mains, ô ces mains toutes rouges  ! ma capote pleine de sang  !… Sans me soucier de mes mains, sales, souil­lées de graisse d’armes et de terre, comme beau­coup de blessés je veux essayer de me ren­dre compte de la grav­ité de ma blessure. Heureuse­ment je n’ai pas de glace, car cer­taine­ment je me serais fait peur à moi-même  ! Je promène ma main dans ma bouche : à droite, il me reste quelques dents, en haut les dents cassées qui me font bien souf­frir, en bas vide com­plet, plus de lèvre, ni de max­il­laire… Le soleil tape dur, ren­dant ma blessure encore plus cuisante.

Monastir  est alors en Serbie depuis 1912 ; en langues slaves la ville s’appelle Bitola et elle est située (sous ce nom) depuis les années 1990 en république de Macédoine.  Durant la Première Guerre mondiale, après une attaque de l'armée bulgaro-allemande du General von Gkaltvis  le 4 décembre 1915, la ville est aux mains des ennemis de l’Entente. Un an après, la ville a été occupée par les troupes du général Sarrail (le 19 novembre 1916), mais elle reste sous le feu des canons bulgares jusqu’au début 1918.

Cet ouvrage est fort intéressant car il permet de suivre le tragique destin d’un blessé à la face, des pages documentaires sur les gueules cassées sont d’ailleurs proposées en fin d’ouvrage. "Gueules cassées ... et alors ?" de Corinne Valade est une fiction à lire en prolongement.

Par ailleurs outre que d’évoquer  les conditions d’hospitalisation pas vraiment toujours hygiénique (le Val-de-Grâce est surnommé le "Val-de-crasse") et ses treize opérations pour refaire un visage pas trop difforme (une barbe vient heureusement masquer une bonne partie des cicatrices), il décrit la ville de Decize dans la Nièvre et sa caserne d’avril au tout début de décembre 1915 car Édouard Lefort est incorporé au 79e RI. Il est à noter, et l’auteur ne le remarque pas, que pour un blessé au visage sa citation qui lui fait obtenir la croix de guerre parle de « l’exemple de la plus belle crânerie » qu’il aurait donné le jour où il fut atteint.  

Si les pages sur les combats dans la Meuse entre janvier et août 1916 ne manquent pas d’intérêt, celles qui sont les plus intéressantes sont celles qui évoquent les prétendus jardiniers de Salonique. C’est ainsi que Georges Clemenceau appelait les poilus du Front d’Orient pour les déconsidérer car il pensait à tort que l’essentiel devait se jouer sur le front ouest et il était donc hostile à ce front (d’ailleurs fort mal engagé militairement et politiquement au prix en plus d’une guerre civile temporaire en Grèce).

Autre particularité, grâce en particulier (pages 303 à 305) à un tableau de ses séjours comme soldat jusqu’à  sortie des hôpitaux pour être réformé le 31 mars 1920 (il a passé 20 mois dans un hôpital marseillais), situe bien les dates et lieux où il séjourne en Albanie. De fin janvier à fin mars 1917 il est autour du lac d’Ohrid. Le 7 Mars 1914, le prince William de Wied accepte enfin de rejoindre le pays pour lequel l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne ont décidé qu’un prince d’origine protestante (quoique lui et sa famille sont rhénans) serait une bonne chose (le pays comptant dans l’ordre d’importance numérique des musulmans, orthodoxes,  catholiques et juifs).  

Essad Pacha, Son ancien ministre de la Guerre, exilé pour trahison, prend le pouvoir avec l’appui de l’Entente. Certains de ses rivaux chrétiens (la minorité catholique est alors très lie aux Autrichiens) et musulmans (comme le futur roi Zog) se rebellent et le pays est occupé selon les époques et en partie par les Serbes et Monténégriens réunis, les Grecs, les Italiens, les Français, les Bulgares, les Allemands et les Austro-Hongrois ensemble. De nombreux combats, aujourd’hui oubliés, à la fois parce que les troupes d’outre-mer y jouent un rôle capital et parce que les lieux, qui avaient généralement gardé leur nom turc (l'Albanie ne se détache de la Turquie que le 28 novembre 1912) ont pris une orthographe bien différente aujourd’hui. Pour les comprendre (et saisir également ceux qui se déroulent dans l'actuelle république de Macédoine, alors région serbe depuis peu) grâce à des cartes et des illustrations, on se reportera à l’ouvrage de Thierry et Mary Moné "Du burnous rouge au burnous bleu". Pour savoir comment un pays comme l’Albanie, née de la volonté de l’Autriche-Hongrie d’empêcher en 1912 la Serbie d’accéder à la mer a pu se maintenir en 1919 alors que la Serbie est dans le camp des vainqueurs, on lira d’Olivier Lowczyk "La Fabrique de la paix" ; en fait ils sont tellement à vouloir la dépecer que faute de pouvoir annexer tout ou partie de son territoire, la maintenir  fait  qu’elle échappe au moins au pats concurrent.  

 

Les illustrations sont abondantes et très variées. Une lec­ture spec­ta­cle "Le grand vacarme : réc­its de vie et de mort durant la guerre de 14–18", s’appuyant en particulier sur divers écrits contenus dans "Souvenirs de guerre 1915-1920" d’Édouard Lefort  est disponible de 2014 à 2018, elle  peut se jouer en tous lieux. Elle est proposé par le Théâtre du menteur et on peut en écouter environ un peu plus d’un tiers ici http://www.theatre-du-menteur.com/les-spectacles/lectures-spectacles/

Pour tous publics Beaucoup d'illustrations Plan chronologique

Octave

Note globale :

Par - 461 avis déposés - lecteur régulier

461 critiques
05/04/15
Les gueules cassées en littérature de jeunesse sont abordées dans quelques titres citées dans "Le roman historique pour la jeunesse sur la Première Guerre mondiale, une idéologie à front renversé de la propagande distillée à l’époque ?" un texte à lire sur le blog de Grégoire de Tours.
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