Enseignements suivis par Suger à la fin du XIe siècle

Françoise Gasparri, dans Suger de Saint-Denis, détaille la formation suivie par  Suger en 1091/1092 à l’abbaye de St Denis. Le programme scolaire, comme l’on dirait aujourd’hui, comprend les enseignements dispensés à tous les futurs clercs dans cette période du moyen-âge qui précède de peu la renaissance du XIIe siècle.

L’objectif est de préparer les élèves à l’étude de la science des Ecritures, aboutissement du savoir, qui “élève l’âme au dessus des réalités terrestres”. Cette science repose sur quatre sens de lecture qui sont des niveaux d’interprétation des textes : littéral (ou historique), allégorique, tropologique (ou moral), anagogique.

Pour acquérir les bases nécessaires à la sciences des Ecritures, les élèves abordent dans l’ordre les disciplines suivantes :

1 – Disciplines de base :

  • lecture (l’enfant deviens psalteriatus)
  • chant (cantilena)
  • calcul
  • étude du latin (textes de Caton, Esope, Horace, Ovide, etc, ainsi que d’auteurs chrétiens)
  • prosodie (construction de vers et étude des types de versification)

2 – Arts libéraux :

trivium :

  • grammaire
  • rhétorique (qui débouche aussi sur le droit)
  • dialectique (étude d’Aristote, Cicéron, Porphyre et Boèce)

quadrivium :

  • arithmétique
  • géométrie
  • astronomie
  • musique ou science des intervalles et de rapports entre les tons

(d’après Françoise Gasparri, Suger de Saint-Denis, éditions Picard, 2015)

 

 

 

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Exposition sur le Front populaire à Montreuil

Nous publions ci-dessous, en tant que tribune libre, le texte d’Adam Craponne


Exposition 1936 Nouvelles images, nouveaux regards sur le Front populaire

du 9 avril au 31 décembre 2016 au Musée de l’histoire vivante Parc Montreau à Montreuil

Il s’agit évidemment plus de nouvelles images que de nouveaux regards. Le  discours très pédagogique colle à la doxa du peuple de gauche sur l’événement. Certes certains angles d’attaque thématiques valorisent soit des préoccupations populaires (comme la dimension sportive) soit font des liens avec notre présent (puissance de l’extrême-droite et importance du nombre des réfugiés), mais on est loin de tout discours iconoclaste (le non-oubli des procès de Moscou ne pouvant passer que pour une reconnaissance d’un fait historique connu).

Il n’y a pas seulement la reprise d’une iconographie présente dans les manuels scolaires d’histoire, que cette production soit d’ailleurs rentrée immédiatement dans l’album (comme la photographie de la tribune officielle du 14 juillet 1936 avec un Blum poing levé et un Thorez faisant un signe de la main à la foule) ou ultérieurement (comme celle des couples en tandem de Pierre Jamet). Sont aussi présentes des photographies issues de fonds familiaux et d’archives de l’univers politique et syndical.

0 FPLes documents phares seront pour certains visiteurs la photographie de la manifestation du 14 juillet 1936 de soutien au Front populaire avec des femmes entièrement voilées levant le poing, les deux détournements pour le compte du PCF de la fameuse affiche du bolchévik au couteau entre les dents (cette dernière reprenant d’ailleurs une image produite durant la Grande Guerre où un tirailleur sénégalais est  censé pouvoir terroriser les boches), la petite collection de photographies d’enfants au poing levé.

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On est d’ailleurs à une période clé où le dessin de presse est encore très abondant pour illustrer un contexte alors que la photographie devient un support très conséquent. Parmi les caricatures de Raoul Cabrol (qui dessine entre autre pour L’Humanité) on relèvera d’un côté Pierre Laval et d’autre part Henri de Kérillis dans une adaptation de l’affiche publicitaire pour le thermogène réalisée par Leonetto Capiello en 1910; l’affiche de ce dernier est d’ailleurs actuellement visible dans l’exposition consacrée à Apollinaire au musée de l’Orangerie (jusqu’au 18 juillet 2016).

Du point de vue muséographique, on note la reconstitution d’une colonne Moriss servant à présenter des reproductions de premières pages de journaux d’époque, un cabine de bains, un poste de radio et un sol destiné à suggérer divers sports collectifs dans la salle montrant (grâce à des photographies de France Demay) le sport populaire organisé par la FCGT, une vitrine avec un uniforme de soldat républicain espagnol, des petits films documentaires et des ambiances sonores.

L’exposition ouvre sur le choix fait, par diverses personnalités représentatives de mouvements politiques, syndicaux ou associatifs, pour chacun d’une photographie significative de l’événement. Pour symboliser le Front populaire, le Grand Orient choisit le portrait du ministre de l’éducation nationale Jean Zay. Se sont exprimés également par exemple la CGT, la CGT/FO, la Fédération anarchiste, Yvette Roudy (au nom des féministes), le PCF, le Parti socialiste, Lutte ouvrière…

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Suivent des salles qui rappellent les origines du Front Populaire (en lien avec la montée de l’extrême-droite), la victoire électorale (pendant la campagne le PCF a pris son tournant de revendication de l’héritage républicain), le mouvement des grèves (avec une valorisation de l’importance de l’action paysanne impulsée par Renaud Jean), la question espagnole, l’exposition universelle de 1937 (avec un face à face entre le pavillon allemand et le pavillon soviétique), les procès de Moscou, l’hommage à la Commune, les congés payés et les auberges de jeunesse, les mémoires du Front populaire telles qu’elles ont été valorisées tous les dix ans (à compter de 1936), le sport populaire.

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On gagnera à s’arrêter devant chaque document pour en faire une lecture personnelle si l’on est un tant soit peu au courant des grandes lignes de cette époque. L’historien relèvera que n’apparaît pas le slogan du Front populaire, à savoir « Pain, paix, liberté ». Ce mot d’ordre avait d’ailleurs inspiré un poème à Gaston Delavière, employé à l’hôpital de Tours à cette époque.

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Un catalogue d’exposition de cinq euros reprend l’essentiel des thèmes proposés et en plus donne divers textes de personnalités élues ou non. Alain Bergounioux et Frédérick Genevée rappellent que les anniversaires du Front populaire n’ont pas été retenus au titre des commémorations officielles depuis 1986. Il est peut-être prudent de ne pas attendre 2036 pour se replonger dans l’atmosphère du Front populaire, d’autant que certaines réalités de 2016 sont malheureusement en rapport avec bien des événements désagréables vécus en 1936.

Adam Craponne

 

Commentaire sur l’exposition « L’esprit des bêtes »

Nous publions ci-dessous, en tant que tribune libre, le travail de Benjamin


La Vendée c’est Gilles de Rais, Richelieu, Charette, Clemenceau, Benjamin Rabier et Yvan  Craipeau (secrétaire de Trotsky). Choisis ton héros…

Depuis son ouverture il y a 12 ans, le Musée de l’image d’Épinal (dans les Vosges) porte un regard propre sur ses collections. Il reste dans l’esprit qui est le sien depuis plusieurs années, il y a donc trois parties pour cette exposition de l’été 2015 intitulée « L’ESPRIT DES BÊTES ». Toutes tournent autour de Benjamin Rabier né en 1864 à La Roche-sur-Yon (pays de sa mère) et décédé à Faverolles en 1939 (région de son père).

rabier_caiman_pintadeLa première exposition informe que Benjamin Rabier a pour l’Imagerie Pellerin d’Épinal en 1897 et pour l’Imagerie Quantin à Paris autour de 1900. Benjamin Rabier est né à La Roche-sur-Yon le 30 Décembre 1864 qui s’appelait alors Napoléon-Vendée. Il reste là jusqu’à un peu plus de cinq ans. Il est dans la capitale quand les Prussiens assiègent Paris en 1870, puis il va à l’école à Paris. Il fait son service militaire puis commence à travailler en 1889 comme comptable au magasin du Bon Marché à Paris. En 1890, il devient employé de la ville de Paris et travaille comme contrôleur au marché des Halles et il a occasion d’observer des animaux domestiques. L’année suivante, il trouve un petit travail de contrôleur de la comptabilité dans un grand cirque parisien où il peut voir des animaux habituellement sauvages.

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Il crée le personnage de Tintin Lutin que vieillira un peu Hergé pour en faire Tintin. « Flambeau » est un album, destiné aux enfants, qui raconte la participation au premier conflit mondial de Flambeau, un chien de ferme. Sa parution en album date de 1916. Le jeune chien défend aux côtés des poilus, et avec l’aide d’animaux de la forêt, les valeurs de fraternité, d’honneur, d’intelligence et d’harmonie. Il trouve face à lui la soldatesque germanique sujette aux instincts les plus bestiaux. D’autre part cette idée des « animaux avec nous » pour les enfants est à rapprocher de celle de « Dieu avec nous » pour les adultes.

Durant la Première Guerre mondiale, le ministère de la Guerre lance un concours pour le logo destiné aux camions de ravitaillement en viande destinés aux poilus. À cette occasion, Benjamin Rabier dessine la première Vache qui rit. Rappelons qu’il crée en 1923 le canard Gédéon, auquel il fait vivre de nombreuses aventures.

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«Quand il fut sorti de l’œuf et qu’il se présenta devant son père, sa mère et ses frères, il reçut de sa famille un accueil mélangé de surprise et d’ahurissement. Jamais on n’avait vu caneton agrémenté d’un cou aussi long…».

RABIER Moulins Le rire au désert, pour le Journal Le Rire, n°76, 18 avril 1896 AIllustrateur dans la presse pour la famille, il est déjà réputé dans les journaux parisiens lorsqu’il crée les planches qui nous sont données à voir. « Le Rire » et « Le Pêle-Mêle » lui prennent alors régulièrement des dessins d’humour. Par ailleurs dans le domaine de la caricature il a déjà croqué par exemple Clemenceau en bouledogue et l’actrice Sarah Bernhardt en lionne. Des exemples de la production de Benjamin Rabier dans la presse pour adultes et pour les jeunes (en dehors de l’imagerie d’Épinal) sont présents.

Le Musée de l’image a fait appel, comme à l’accoutumée, à de jeunes illustrateurs pour réinterpréter avec un style graphique d’aujourd’hui, l’esprit des images illustrées de Benjamin Rabier. Rappelons qu’il ne s’agit jamais de BD avec Rabier car il n’utilise pas la bulle, un joli pavé de texte est sous l’image. On est donc dans les histoires en images.

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Par ailleurs en parallèle, une galerie de portraits du photographe Charles Fréger est présentée. On nous montre des hommes qui prennent l’apparence d’animaux fantastiques en endossant divers attributs. Benjamin Rabier nous montrait l’humanité des animaux (les sentiments de ceux-ci étant magistralement lis en scène) et Charles Fréger nous représente l’animalité des humains dans divers paysages sauvages de l’Europe. Par ailleurs des publicités télévisuelles s’inspirant des créations de Benjamin Rabier sont à découvrir. Une savante et légère ambiance musicale accompagne ces expositions.

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Exposition « L’ESPRIT DES BÊTES » du 29 mai au 1er novembre 2015. Musée de l’image d’Épinal.

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La Première Guerre mondiale en BD : albums disponibles présentant un thème particulier

Nous publions ci-dessous, en tant que tribune libre, le travail d’Alexandre.


Deux outils sortis en 2008 « 14-18 dans la bande dessinée » de Luc Révillon et Bruno Denéchère (à La Bulle au carré) et « La Grande Guerre dans la bande dessinée de 1914 à aujourd’hui » de Vincent Marie (chez Cinq continents éditions) ne manquent pas d’intérêt. Toutefois ils évoquent nombre d’albums ou de périodiques de plus en plus difficiles à se procurer. Par ailleurs ils oublient forcément tout ce qui est paru entre 2008 et 2015 (« La Grande Guerre dans la BD » toujours de Luc Révillon est une version plus complète de « La Grande Guerre dans la bande dessinée de 1914 à aujourd’hui », elle cite des albums sortis jusque dans la première partie de 2014).

revillonUn reproche que nous pouvons nous autoriser à faire à Luc Réveillon (car nous pouvons répondre à ce qui suit) est qu’il n’est pas assez compétent pour identifier les dessinateurs des histoires en images de l’époque 1915-1918 (les journaux pour enfants à une exception près disparaissent entre fin août et décembre 1914). Il en montre toutefois de très significatives autour du conflit.« La Guerre dans la BD » de Mike Conroy ne s’intéresse, quelque soit l’époque, qu’à la production anglophone. Pour la Première Guerre mondiale, elle présente la série des aventures de « La Grande Guerre de Charlie«  de Joe Colquhoun, « La mort blanche » de Charlie Adlard et survole la production de Tardi ainsi que quelques rares BD des années 1960 et 1970 toutes publiées en anglais dans des magazines et dont nous n’aurons jamais la traduction en français.

Déclaration liminaire

On n’évoquera ici que les albums de BD les plus intéressants, et uniquement les fictionnels (à l’exception près de deux documentaires) par rapport à une thématique.  Nous choisissons deux périodes de première parution en 1914-1919 et 2003-2014 ; ces dernières dates sont arrêtées pour une disponibilité à l’état neuf encore longue. Nous faisons le choix ici de n’évoquer que les titres qui montrent l’univers continental de l’Europe occidentale. Ce qui nous intéressera dans ces fictions, c’est ce qui peut se passer d’original dans les zones de combat ou dans l’arrière, occupée ou non, de la France, de la Belgique et du Luxembourg. Nous renvoyons pour la province allemande d’Alsace-Lorraine au volume 4 de l’intégrale de « Victor Sackville » au Lombard, à « Finnele » d’Anne Teuf où l’action couvre toute la guerre et est située dans la petite partie de l’Alsace tenue par les Français (autour du village vosgien de Masevaux en l’occurrence), « L’Alsace à tout prix » de Frédéric Garcia et Jean Paillot (avec une bonne partie de l’action à Münster) et enfin « L’Alsace dans le Reich 1871-1918 » de Marie-Thérèse Fischer et Didier Pageot (un documentaire).

Last not least, nous faisons le choix de ne pas exposer l’intérêt d’un ou plusieurs albums de Tardi. Ceci pour trois raisons. Premièrement, d’autres l’ont fait (« Enseigner la souffrance et la mort avec C’était la guerre des tranchées de Jacques Tardi » de Vincent Marie en 2009 au CRDP de Poitiers), or notre objectif principal ici est de faire découvrir à notre lecteur des titres qu’il ne découvrira pas tout seul chez son libraire. Par ailleurs, la vision de la Grande Guerre de l’auteur Tardi est toute personnelle. Chez lui, les soldats allemands sont des compagnons d’infortune pour le combattant français ; les ennemis des poilus ce sont leurs officiers et les gendarmes.
« La Grande Guerre de Charlie » de Joe Colquhoun tient d’ailleurs le même discours que Tardi sur ce point mais au sujet du Tommy.

Déclaration d’écriture en état de guerre

Les albums produits plusieurs décennies après les évènements qu’ils relatent en disent beaucoup plus sur les idées du moment où ils sortent (à travers leur choix de mémoire) que sur les pensées objectives des personnages à leur époque. Il ne faudrait pas oublier que le document historique est par définition un témoignage réalisé à son époque. Pour la Grande Guerre nous disposons de trois groupes d’ouvrages. Ce sont les albums de « Bécassine », ceux des « Pieds nickelés » et « Flambeau » de Benjamin Rabier.

Sorti directement en album en 1916, ce dernier est heureusement réédité en 2003 avec une préface intéressante d’Annette Becker. L’objectif est de montrer, tout d’abord avec un petit chien, puis de façon secondaire avec des bêtes de la forêt que les soldats français ont les animaux avec eux mais aussi que les bêtes ont alors assimilés les valeurs nobles des hommes, alors que les individus germaniques ont un comportement bestial. Il s’agit sur ce point de la translation de l’idée de propagande en direction des adultes, du noir « nouveau civilisé » face à l’Allemand en qui remontent ses racines barbares. Cet album pourrait être présenté aussi bien à des élèves de dernière année de maternelle qu’à un lectorat adulte. Ici comme dans « Les Aventures des Pieds nickelés durant la Grande Guerre », faire relever par des élèves de l’école primaire tous les défauts physiques, de conduite et de caractère est une activité qui permet de percevoir comment l’ennemi pouvait être diabolisé.

Ces épisodes des « Pieds nickelés s’en vont en guerre » suivent d’ailleurs ceux où les trois héros s’impliquent dans les Guerres balkaniques de 1912 à 1913. Il serait souhaitable de comparer l’attitude très différente des héros de Forton dans les deux conflits et en particulier leur rapport avec l’institution militaire. Toutes ces aventures sont parues à l’origine dans « L’Épatant » qui va progressivement durant la Grande Guerre devenir un journal lu très majoritairement par des garçons d’une dizaine d’années alors qu’il était destiné prioritairement à des appelés de 1908 à 1914. En 2008 dans « Le Meilleur des Pieds-Nickelés, tome 7 » apparaissent « Les Pieds-Nickelés chez le kaiser », toutefois la reproduction est de mauvaise qualité avec une taille réduite par rapport à l’original qui rend les textes peu lisibles et des gris sales (pour les pages à l’origine en couleurs). Sur plus de trois cent pages des Pieds-Nickelés parues entre janvier 1915 et fin 1917 dans « l’Épatant », Vents d’Ouest a sélectionné moins de 50 pages, uniquement autour du séjour en Allemagne. Heureusement en octobre 2013 Vuibert nous a donné « Les Pieds-Nickelés s’en vont en guerre », en recolorisant ou colorisant selon les pages, le tout début de ces aventures, soit environ 80. La surface des vignettes a été augmentée de 10% ce qui rend plus confortable la lecture des textes copieux sous les images. Bref on aimerait que Vuibert continue mais pour le moment malheureusement les Pieds-Nickelés jouent les planqués chez Vuibert.

Il y avait eu une réédition autour des années 1990 de trois albums de « Bécassine » qui nous intéressent chez Gautier-Languereau : « Bécassine pendant la Grande Guerre« , « Bécassine chez les Alliés« , « Bécassine mobilisée« . Ces titres viennent d’être réédités en 2014. Le dernier cité permet de réfléchir avec des jeunes sur le rôle des femmes durant la guerre. La série contemporaine « L’ambulance 13 » est intéressante par rapport au même point et on a une demi-douzaine de vignettes où on voit le travail des femmes à l’usine et dans les champs pour « La Grande guerre racontée aux enfants » de Christian Goux et Guy Lehideux ; c’est le second ouvrage à objectif documentaire que nous citerons ici mais il en existe d’autres.

Dans « Bécassine, mobilisée et désarmante », une contribution parue dans « 14-18 la très Grande Guerre » et dans son ouvrage « La Guerre des enfants« ,   Stéphane Audoin-Rouzeau montre bien que le discours de Pinchon est distancié par rapport au contenu habituel de la propagande. J’ajouterai que, intrinsèquement moralisateur, ce journal peut difficilement proposer certains conduites, même pour lutter contre les Boches. En fait aucun de ces trois ensembles ne vise à l’origine le même lectorat, ce qui explique que l’argumentaire de dénigrement varie. Il est dans un cas en priorité pour des jeunes garçons et filles de 5-8 ans, en second lieu pour des garçons de dix à dix-huit ans de milieux populaires et enfin pour des filles de plus de huit ans issues des classes favorisées catholiques. On peut se préparer à l’analyse de certaines pages de « Bécassine » ou des « Pieds Nickelés » en lisant l’ouvrage « Guerre et littérature de jeunesse (1913-1919) » de Laurence Olivier-Messonnier.

Déclaration d’aptitude pour le service devant le conseil de révision

Paroles-de-poilusLa lettre de poilus est devenue un classique des cérémonies du 11 novembre. Le titre « Des Lignes de front » de David Möhring et Philip Riseberg est paru chez Warum, il est bilingue ; cet ouvrage a deux premières pages de couverture (l’une en français et l’autre en allemand) et n’a donc pas de quatrième de couverture. Il s’agit d’une seule lettre de poilus, composée à partir d’extraits de plusieurs courriers authentiques. L’illustration renvoie à des clichés photographiques de l’époque repassés pour devenir des dessins en clair-obscur. Bien que très esthétisée, la souffrance portée par l’illustration entre intelligemment en contradiction avec le contenu rassurant du courrier proposé. Le passage de la réponse du poilu à propos du casque boche demandé par son fils est repris dans l’ouvrage « Paroles de poilus : les plus belles lettres en BD » chez Librio dans une des quatorze courtes histoires (dont douze à partir de lettres) ; les images placent souvent le soldat dans un univers chaud et apaisant pour répondre. Ici on a systématiquement sur une page une présentation du militaire puis sa lettre et ensuite vient la BD qui reprend le contenu du courrier deux à cinq pages. En choisissant un illustrateur différent pour chaque lettre, on assiste à des changements radicaux d’atmosphère. On notera un courrier de Gervais Morillon du 90e RI, un régiment en garnison à Châteauroux, mentionnant une fraternisation entre soldats français et allemands le 12 décembre 1914 dans les Flandres.

Certains passages du tome 2 du « Baron rouge » de Pierre Veys et Carlos Puerta dépeignent bien le Luxembourg et la Belgique envahis en août 1914, avec la crainte des francs-tireurs qui conduit à des exactions. Le tout début de la guerre en Belgique est mis en scène par Barroux à partir des souvenirs authentiques d’un poilu dans « On les aura« , mais aussi par Didier Courtois avec « Il était une fois 1914«  et grâce à « Le Long Hiver, premier tome 1914«  de Patrick Mallet où l’attentat de Sarajevo couvre trois pleines pages. Ce dernier évènement est très largement exposé dans « Gavrilo Princip l’homme qui changea le siècle » d’Henrik Rehr et « François-Ferdinand, la mort vous attend à Sarajevo » de Le Naour et Chandre.

La question de savoir qui sera le dernier mort de cette guerre revient, sans se soucier de celui considéré officiellement comme tel. Ces albums fantasment parfois d’ailleurs sur le choix par un homme d’accepter ce rôle, à retenir sur ce sujet « Le roi cassé » de Dumontheuil publié par Casterman. Une autre réponse apportée par la fiction porte sur la personnalité du soldat inconnu, on lira certes de Manu Larcenet « Une aventure rocambolesque du soldat inconnu : Crevaisons » chez Dargaud, mais surtout « L’Homme de l’année, 1917«  de Duval, Pécau et Mr Fab pour Delcourt.

L’antisémitisme de gradés vis-à-vis de soldats ne se retrouve que dans « Les Folies bergères » sorti chez Dargaud. Ceci nous amène à nous poser, à côté de cela, la question des conditions dans lesquelles les troupes des colonies françaises combattent et outre « L’Homme de l’année, 1917 » on a pour y répondre « Turcos le jasmin et la boue » publié par Tartamudo, chez Physallis à la fois « Sang noir » de Chabaud et Monier ainsi que « Demba Diop » de Tempoe et Mor, la série « Amère patrie » pour Grand Angle, la série « Les quatre coins du monde » pour Dargaud et la série « La Grippe coloniale » chez Vents d’Ouest (où ce sont des Réunionnais qui sont croqués). Dans ce dernier titre l’essentiel de l’action est après-guerre et cela nous permet d’approcher les solidarités maintenues ou fissurées ainsi que les conséquences sociales, psychologiques ou physiques du conflit. Dans cette catégorie des suites du conflit dans la vie d’après-guerre on trouve le problème des gueules cassées avec de Weissengel et Cassier auteurs de « Gueules cassées » (on espère qu’avec la sortie du troisième tome chez un nouvel éditeur, on pourra de nouveau se procurer les deux premiers volumes à l’état neuf, le premier éditeur a cessé toute acticité) et la série « Pour un peu de bonheur » de Laurent Galandon.

Le pacifisme à l’arrière est souvent porté par des femmes, comme on le voit dans « Un long destin de sang » de Bollée et Bedouel chez 12 Bis où apparaît très longuement l’institutrice syndicaliste pantinoise Hélène Brion. Ce qui touche de la façon la plus manifeste la désertion est à chercher dans « Louis Ferchot, tomes 7 et 8 » de Courtois et Giroud, « Mattéo, tome 1 » chez Olis, « Mauvais genre » de Chloé Cruchaudet et « Ambulance 13, 5 Les plumes de fer«  d’Ordas et Mounier. On a même le cas d’un déserteur allemand qui passe quasiment toute l’année 1915 avec des enfants orphelins à l’arrière du front mais côté allemand, il s’agit du tome 2 de la série « La Guerre des Lulus« .

Pour les jeunes autour de 10-12 ans trois titres très adaptés : la BD muette « Le Front » de Nicolas Juncker, la série, dont on vient de parler, « La guerre des Lulus » où des jeunes jouent les Robinson à l’extrémité nord-est de la Picardie, dans l’Aisne, donc dans une zone occupée quasiment durant tout le conflit par l’armée allemande (mais toutefois assez éloignée du front pour que le soldat allemand y soit relativement rare) et la série « Les Godillots » où un Basque de douze ans  au front veut retrouver son frère avec des faits authentiques très significatifs portant l’intrigue. Une tentative de mutilation volontaire est évoquée d’ailleurs là dans le premier tome en BD (attention la série existe en roman également). On signalera dans « Carnets 14-18 : quatre histoires de France et d’Allemagne », chez Le buveur d’encre, la vision du conflit par un enfant René Lucot de Villers-Cotterets dans l’Aisne qui va sur ses six ans le jour de la déclaration de guerre, c’est la mise en images du témoignage qu’il a publié en 1985. Il figure à côté de deux combattants (un médecin français et un lycéen allemand engagé à 17 ans 2 mois), on a aussi celui d’une jeune fille de Saxe qui fête ses 14 ans à la mi-septembre 1914.

La quille

Vue la place impartie, nous écartons des thèmes comme la vie des civils en zone occupée, les enfants héros, les amulettes, l’aviation, Verdun, les fusillés pour l’exemple, les généraux qui font tirer sur leur propre troupe, les espions allemands… Toutefois dans nos comptes-rendus de BD sur ce site, nous évoquons souvent cela. Pour Clemenceau, non seulement dans le cadre de la Première Guerre mondiale mais pour toute sa biographie, nous présenterons bientôt sur ce blog quelque chose d’original, à l’aide d’une vingtaine d’album. Dans la moitié d’entre eux l’action se passe avant 1914 et dans l’autre moitié elle couvre de la déclaration de guerre à la signature du Traité de Versailles.

Alexandre

Le roman historique pour la jeunesse sur la Première Guerre mondiale, une idéologie à front renversé de la propagande distillée à l’époque ?

Nous publions ci-dessous, en tant que tribune, le travail d’Octave, membre actif de gregoiredetours.fr et passionné de la première guerre mondiale.


Cent ans après, quelle image de la Première Guerre mondiale les jeunes francophones peuvent-ils se faire en lisant des romans historiques qui leur sont destinés ? Jamais avant et vraisemblablement plus jamais après novembre 2014 on ne trouvera environ 70 romans historiques pour ce sujet chez les éditeurs francophones européens. Notre corpus ne sera composé que de romans historiques[1], il y aura donc un ensemble de première édition et de rééditions qui couvriront un espace de création qui est en gros celui de ce début de XXIe siècle. Nous écartons tout ce qui se présente sous l’apparence du documentaire et de l’album. Ayant le format d’un roman, le titre doit proposer une surface de texte au moins égale au double de l’espace occupé par l’illustration.

C’est durant la Première Guerre mondiale qu’eût lieu le premier investissement massif de la propagande patriotique en direction des enfants. Cette mobilisation idéologique des plus jeunes prit diverses formes qui sont bien mises en valeur par plusieurs études[2]. Nous verrons quels messages conformes ou opposés sont passés cent ans après. Un recensement précis des lieux de combat évoqués dans ces romans contemporains n’a pas d’intérêt car il pourrait se traduire par une formule allusive qui serait « À l’est de Verdun, rien de nouveau », à l’exception d’un récit dans les Vosges et un outre-mer. De même on n’a pas relevé les histoires où étaient inséré un courrier entre un poilu et l’arrière, tant ce motif est devenu récurrent. Petit-Jean des poilus, suivi de Lettres des tranchées est un livre, qui après un récit de fiction, propose une trentaine de courriers authentique de divers poilus à leur famille.

Les animaux 

Rosa Luxemburg : non au frontières ! Anne Blanchard

Pour séduire un jeune lectorat il va falloir donc trouver une accroche. Une des plus sures est de mettre en scène des animaux soit comme héros, soit comme personnages autour desquels le ou les héros humains vont être amenés à connaître des aventures. Le narrateur est le chat de Rosa Luxemburg dans l’ouvrage Rosa Luxemburg: Non aux frontières par Anne Blanchard.

En matière de bêtes héros principaux ou secondaires on trouve plusieurs sortes d’animaux. Pour les plus jeunes, en faisant une large place à l’illustration, les éditions canadiennes Michel Quintin ont proposé Une mission pour Vaillant d’Alain M. Bergeron. Cet ouvrage a un format de roman, toutefois l’importance de son illustration sur seulement 35 pages fait qu’il est bien adapté à des élèves de SEGPA, comme deux autres titres un peu plus denses au niveau du texte, que nous citons plus bas à savoir Mirliton le chien soldat et La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale. Le récit s’appuie sur un fait authentique, à savoir que le dernier pigeon à quitter le fort de Vaux en juin 1916 fut cité à l’ordre de la Nation pour avoir traversé des lignes en bravant les tirs et les gaz asphyxiants. L’on peut approcher ainsi le rôle de liaison entre une unité isolée ou des villages de la zone occupée et le gros des troupes, que purent assumer les pigeons. Notons que certains de ces oiseaux furent aussi munis de minuscules appareils-photographiques.

Une mission pour Vaillant, Alain M. Bergeron
Une mission pour Vaillant, Alain M. Bergeron

La présence des chiens sur le front rentre dans la fiction dès l’époque de la Grande Guerre : l’album Flambeau, chien de guerre de Benjamin Rabier sort en 1916. Le chien du récit Au temps de la Guerre 14-18 Mirtliton le chien soldat nous sensibilise à la fonction d’agent de liaison. Le récit est porté au départ par le fait que ce chien avait été donné à une petite fille par son grand-frère (soldat sur le front) et que c’est elle qui a l’idée de le proposer pour le chenil de l’armée.  En 1999 paraît le premier tome d’une série Bleu qui en est à sept volumes à ce jour. Le choix de « cet animal, me semblait-il, serait à même de rassurer le jeune lecteur un peu trop émotif… de même que ses parents… [3]». C’est un chien infirmier qui évite de nombreux dangers à son maître dont il est l’adjuvant.

En 2014 sort La dernière course où les chiens sont le support de l’intrigue marquée par l’arrivée authentique sur le front des Vosges (donc à la limite des frontières de l’Alsace-Lorraine) de chiens de traîneau recrutés en Alaska afin en particulier de pouvoir aider à la liaison entre les tranchées et la zone des armées. Dans ce titre, l’héroïne est une jeune fille d’une quinzaine d’années vivant en Alaska depuis l’âge de cinq ans. Fille d’un père (Jacques Larivière) et d’une mère tous deux québécois, elle-même est née dans la Belle Province. Devenue, en se travestissant, instructeur pour les poilus qui s’occuperont des chiens de traîneau ramenés d’Alaska (en traversant d’ouest en est le Canada) pour le front vosgien. Sa maîtrise du français a de nombreuses conséquences dans le récit.

Souviens-toi de moi, Martine Laffon
Souviens-toi de moi, Martine Laffon

Le cheval est un animal très représenté puisqu’outre Cheval de guerre et Le secret de grand-père de Michael Morpurgo (le second étant la suite du premier) on a aussi Souviens-toi de moi de Martine Laffon. Si dans les deux premiers on suivait l’attachement qui liait un paysan anglais à un cheval qui avait appartenu à son père, le troisième met en scène Li Jian, un jeune lettré chinois capable à la fois de peindre des chevaux dans le pur style asiatique et de s’occuper d’eux. Li Jian fait parti des 100 000 et 40 000 travailleurs chinois respectivement pour les armées anglaises et françaises. Ces trois ouvrages permettent de mettre en évidence que les chevaux ne jouèrent pas seulement un rôle pour une cavalerie qui d’ailleurs n’a sur le front ouest quasiment plus d’utilisation après le début de l’année 1915.

On s’attendait moins à trouver une tortue sauf si l’on n’ignore pas le rôle de mascotte qu’ont pu jouer pour les soldats des animaux adoptés par un régiment, un motif assez présent dans la littérature d’il y a cent ans. C’est l’adaptation d’un récit authentique que l’on trouve dans Passager clandestin de Michaël Foreman. Lors de la désastreuse bataille des Dardanelles, un marin anglais suite à un bombardement turc rencontre une tortue sur la plage de Gallipoli. L’animal va le suivre toute sa vie et même lui survivre. Enfin, existe tant en roman assez illustré qu’en BD la série Les Godillots d’Olier et Marko ; dans cette dernière un enfant a recueilli un singe et il part sur le front avec celui-ci dans l’espoir de retrouver son frère militaire dont il est sans nouvelle. L’animal fait plus ou moins avancer l’action selon les ouvrages, les personnages qui ont quelque chose à cacher lui montrent une hostilité au premier abord. Sur ces deux points évoqués (jeune héros et présence d’animaux) il y a une réelle constante entre ces deux littératures situées à près d’un siècle de distance.

Les enfants-héros

Les Godillots, Olier et Marko
Les Godillots, Olier et Marko

Quasiment tous ces livres ont pour personnage principal un jeune entre dix et dix-sept ans, toutefois ils interagissent avec des adultes ou dans le cadre d’actions en lien avec le conflit. Dans un roman de littérature de jeunesse un enfant peut se retrouver sur le front, nous regrouperons tous les ouvrages qui permettent une rencontre entre des jeunes et des soldats en train de se battre sous le nom de récits avec un enfant-héros. Toutefois, contrairement à la littérature de jeunesse de l’époque, il ne prend quasiment jamais les armes. Il est là comme spectateur même s’il est monté dans la zone des combats avec l’idée de faire le coup de feu.  Dans Les Godillots d’Olier et Marko, jusqu’à présent le héros n’a pas retrouvé son frère; il a en revanche résolu des énigmes. Ainsi avec le seul épisode paru en 2014 sous forme de roman Le gourbi du sorcier (trois tomes en BD existent), il permet de comprendre pourquoi un poilu peut deviner le succès ou non d’une attaque. En fait on a affaire à une opération de camouflage.

A la gloire des petits héros, Gérard Hubert-Richou
A la gloire des petits héros, Gérard Hubert-Richou

Promenade par temps de guerre d’Anne-Marie Pol a une intrigue qui s’appuie sur la recherche par un jeune de son père, porté disparu. Victor s’enfuit de l’orphelinat au début de l’automne 1918. Après de nombreuses péripéties où il montre qu’il appartient à une famille de gens du spectacle, il va découvrir que son père a fui la grange où il était enfermé dans la nuit qui devait précéder son exécution comme mutin. Ici un épisode de la vie du caporal landais Vincent Moulia inspire la fin de la fiction. À la gloire des petits héros de Gérard Hubert-Richou envoie un groupe d’enfants dans la zone des armées et si l’objectif est de rendre visite au père de l’un d’entre eux hospitalisé, les jeunes vont se retrouver prisonniers en ce mois d’octobre 1918. L’auteur démarre l’action avec la présentation d’une affiche de propagande évoquant Jean Corentin Carré engagé à quinze ans en trichant sur son âge et à peine plus loin parle de Gustave à la page 20, fait caporal à quinze ans selon la propagande, en tout cas effectivement originaire des Côtes-du-Nord, nom à l’époque des Côtes-d’Armor, et faisant le coup de feu avec des chasseurs alpins.

La guerre des petits soldats de Gérard Streiff nous parle toujours d’un jeune garçon mais cette fois le ton est plus grave, d’abord parce que le père meurt à Ypres en avril 1915 du fait des gaz (page 48), ensuite parce que c’est dans l’envie de le venger que Gustave se dirige vers le front et parce que le héros va découvrir la souffrance des blessés (y compris des obusés qui sont des traumatisés). Là encore la figure de Jean Corentin Carré est convoquée (page 56) et Gustave a pour nom de famille Chatain. On a vu plus haut ce que les historiens savent que Gustave Chatain. L’ouvrage montre combien la propagande utilise une anecdote (Gustave se retrouve blessé dans un bombardement) pour faire d’un enfant un héros qui aurait voulu servir d’appât aux troupes ennemies (page 92).

Avec Porté disparu de Catherine Cuenca est avancé le fait que l’on peut s’engager à dix-sept ans et celui qui fait cela, cousin du personnage principal, est au nombre des 300 000 soldats dont on n’a jamais retrouvé le corps. C’est également à dix-sept ans que le héros de Cheval de guerre et Le secret de grand-père de Michael Morpurgo devient soldat. Camarades, toujours de Catherine Cuenca, a pour prolongement Le secret du poilu ; là on a un héros qui triche sur son âge pour s’engager puisqu’il n’a que seize ans.

Mémoire à vif d'un poilu de quinze ans, Arthur Ténor
Mémoire à vif d’un poilu de quinze ans, Arthur Ténor

Mémoire à vif d’un poilu de quinze ans d’Arthur Ténor interroge également sur qui fut en réalité le plus jeune poilu. La réponse est que natif du Piémont et vivant à Marseille, il s’appelait Désiré Bianco. Embarqué clandestinement depuis Toulon pour les Dardanelles alors qu’il avait à peine 13 ans, il est mort le 8 mai 1915 à Gallipoli. Arthur Ténor nous évoque le personnage de fiction Maximilien qui, rêvant de devenir journaliste, rejoint le front fin septembre 1914. Outre que de voir les réalités de celui-ci, il sera pris dans un souffle explosif qui le plongera dans un coma dont il ressortira très lentement. Ce qui est important, dans cet ensemble, c’est que le jeune lecteur suive la lente approche évolutive de ce qu’est la guerre que fait le héros.

Les gueules cassées et les obusés

Le jour où on a retrouvé le soldat Botillon par Hervé Giraud comme Le fils de mon père d’Évelyne Brisou-Pellen ont comme ressort de l’intrigue que, devenu une gueule cassée (ayant un visage déformé), un personnage préfère ne pas se faire connaître aux personnes de sa famille. Sélectionné pour le prix du roman historique pour la jeunesse 2015, le premier titre nous semble présenter une intrigue assez chimérique. Dans un cas on a simulation d’une perte de mémoire et visites incognito à sa fille (orpheline de mère) et dans l’autre substitution d’identité. Patrick Bousquet avec Les fracassés a choisi un titre qui fait allusion aux grands blessés de la Grande Guerre et un saut en 1921 permet d’annoncer la création de l’association « L’union des blessés de la face ». L’idée est que certains poilus sans famille peuvent servir de cobaye à leur insu.

La véritable histoire de Marcel, soldat pendant la première guerre mondiale, Pascale Bouchié
La véritable histoire de Marcel, soldat pendant la première guerre mondiale, Pascale Bouchié

Mon père est parti à la guerre par John Boyne amène à réfléchir sur les traumatismes que pouvaient subir les soldats au front, suite en particulier aux bombardements. Un soldat anglais est découvert par son fils Alfie dans un hôpital pour obusés dans le Suffolk. La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale par Pascale Bouchié évoque le cas des soldats qui traumatisés perdirent la mémoire jusqu’à ne plus connaître leur nom. Le plus célèbre de ces obusés est Anthelme Mangin qui fut réclamé par de nombreuses familles entre 1920 et 1930. D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède met en scène un soldat qui a perdu la mémoire suite à un choc (nous en reparlons au sujet des marraines de guerre).

Les troupes venues de l’empire colonial français

Un tirailleur en enfer, Yves Pinguilly
Un tirailleur en enfer, Yves Pinguilly

Force noire de Guillaume Prévost comme Verdun 1916 Un tirailleur en enfer d’Yves Pinguilly posent la question des conditions du recrutement des soldats d’Afrique équatoriale avec le cas d’un Malien et d’un Guinéen (si on ramène leur origine aux pays d’aujourd’hui). Dès avant-guerre le général Mangin  avait théorisé l’apport des troupes indigènes dans un conflit en Europe. Avec Force noire, contrairement à La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale, de Pascale Bouchié et Cléo Germain, l’union entre une Française et un noir s’avère impossible du fait de la pression sociale. La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale met bien en scène la surprise que constitue la rencontre d’un tirailleur sénégalais pour un enfant. Contrairement à la littérature produite entre 1914 et 1918, l’homme de couleur n’est plus l’être téméraire, mais aussi cruel vis-à-vis des Allemands ; il est celui qui souffre encore plus des rudes conditions de la guerre des tranchées.

Les populations civiles

L’ouvrage qui dépeint peut-être le mieux pour des jeunes l’atmosphère d’un village (ici breton) juste avant la déclaration de guerre est celui d’Yves Pinguilly, à savoir La fleur au fusil. Comme d’autres ouvrages, le récit réunit ceux des villageois qui sont encore là auprès du monument aux morts lors de son inauguration. Des romans historiques se centrent sur la vie à l’arrière et généralement nous suivons pour cela la vie d’un jeune d’une dizaine d’années. Mon père soldat de 14-18 nous conte la vie alternativement dans un village d’Île-de-France et un village pyrénéen (qui ressemble à Luchon) durant la totalité de la guerre. On parle en particulier des enfants marqués par le deuil de leur père mort au combat.

Petit-Jean des poilus, Michel Piquemal
Petit-Jean des poilus, Michel Piquemal

La guerre d’Éliane est un roman historique qui permet de s’interroger sur le vécu des orphelins, au nombre total d’un million. L’action se déroule dans plusieurs lieux du Loir-et-Cher et l’importance de la mobilisation patriotique à l’école est bien appréciée à sa juste valeur. Petit-Jean des poilus, suivi de Lettres des tranchées de Michel Piquemal permet de suivre comment un jeune villageois de la Marne passe d’une vision enfantine et patriotique à une perception plus proche des réalités du conflit.

La seconde nouvelle Quoi de neuf depuis 14-18 ? du Violoncelle poilu d’Hervé Mestron couvre une trentaine de pages. L’intrigue repose sur les souvenirs douloureux d’un grand-père de quatre-vingt-treize ans qui est en train de mourir. Ce dernier est né en 1915, d’une mère institutrice dans un village occupé par l’ennemi et d’un père soldat allemand mort avant sa naissance. Deux autres titres, Il fallait survivre de Ludmilla Podkosova et L’horizon bleu de Dorothée Piatek, évoquent la France occupée par les Allemands en des visions très anachroniques dans les relations entre les populations civiles et les soldats ennemis.  D’ailleurs 11 novembre de Paul Dowswell montre bien que les populations occupées ont bien plus de haine envers les soldats allemands que les poilus.

Un frère d’Amérique : 1917-1919 Philippe Barbeau et Christian Couty
Un frère d’Amérique : 1917-1919 Philippe Barbeau et Christian Couty

Un frère d’Amérique de Philippe Barbeau permet de voir comment s’organise la vie villageoise en l’absence des hommes les plus forts (partis au front) et sous quelle forme est approché l’univers de la guerre avec ses conséquences (le héros doit faire face à l’annonce de la mort de son frère aîné). Il rappelle qu’au bord de la voie ferrée Tours-Vierzon dans le sud du Loir-et-Cher existait un camp américain. Si une amitié naît entre un jeune garçon, Charles, et un infirmier militaire américain, John, le récit montre qu’une jeune femme est un enjeu entre les deux hommes. Ceci renvoie à deux phénomènes : le premier est que les sentiments envers les Américains étaient souvent hostiles (mieux payés que les poilus, les Sammy suscitaient l’envie), le second que certaines Françaises partirent faire leur vie avec un soldat américain rencontré en France.

La marraine de guerre de Catherine Cuenca souligne le rôle particulier qu’ont pu jouer certaines femmes auprès des poilus. Initialement lancé pour les soldats dont les familles étaient en zone occupée, le phénomène des marraines de guerre s’est généralisé. Cette figure du soldat filleul apparaît bien moins développée dans Le journal d’Adèle dePaule Bouchet. Elle permet de faire passer un certain nombre d’informations sur le monde des tranchées et d’approcher la dimension d’euphémisme que cette correspondance contenait car le poilu est montré filtrant la dimension d’horreur qu’il vit. D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède met en scène un obusé qui retrouve la mémoire grâce au rappel de ses courriers à sa marraine, une des sœurs Curie.

Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, Sophie Humann
Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, Sophie Humann

L’univers des jeunes femmes devenues infirmières durant le conflit est développé dans plusieurs titres. Outre ceux autour de la famille Curie (voir plus loin), ce sont Il s’appelait … le soldat inconnu d’Arthur Ténor, Infirmière pendant la Première Guerre mondiale de Sophie Humann et Le choix d’Adélie de Catherine Cuenca pour ceux où l’héroïne remplit cette fonction. Dans Mon père soldat de 14-18 la mère du héros est devenue infirmière au Val-de-Grâce. Nicole Mangin, médecin à Verdun de Catherine Le Quellenec évoque la période où Nicole Mangin a été convoquée par erreur par l’armée et a été la seule femme à travailler comme docteur dans un hôpital militaire.

La vie des femmes en usine n’est présente que par la profession de personnages secondaires dans Infirmière pendant la Première Guerre mondiale et dans La vie au bout des doigts d’Orianne Charpentier ; pour ce dernier titre on mentionne page 346 les mouvements de grève des femmes parisiennes au printemps 1917.

Personnages historiques rencontrés

On se limitera à ceux dont on rapporte diverses actions et on n’évoquera pas ceux qui sont simplement cités. Le général Mangin est présent dans Bleu le piège de Douaumont, c’est le seul officier supérieur rencontré dans la production contemporaine. Par contre les enfants-héros en particulier rencontrèrent assez souvent Joffre dans la littérature de jeunesse de l’époque. Mon père est parti à la guerre par John Boyne fait apparaître le premier ministre Lloyd George qui dialogue avec le fils d’un soldat obusé (atteint d’une psychose traumatique).

Apollinaire, le poète combattant, Jean-Michel Lecat
Apollinaire, le poète combattant, Jean-Michel Lecat

Guillaume Apollinaire est le sujet d’un ouvrage Apollinaire, le poète combattant de Jean-Michel Lecat (avec extraits authentiques de lettre et poèmes du personnage), mais il est aussi cité pour ses poèmes ou pour la description de son enterrement dans divers ouvrages comme celui de Gérard Hubert-Richou  : À la gloire des petits héros (page 124 avec le poème « L’avion »). Dans le roman historique pour les jeunes La vie au bout des doigts d’Orianne Charpentier, on a également une forte présence d’Apollinaire. L’héroïne Guenièvre et son amie portent un grand intérêt à l’œuvre du poète (certains titres de ses livres sont cités). La première assiste à son enterrement (pages 384 à 388). Auparavant au début 1916, Alphonse le rencontre à l’hôpital où tous deux sont hospitalisés (page 333).

Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub se veut un hommage à Jaurès : un jeune garçon de milieu populaire fait sa connaissance peu avant sa mort. On suit bien le dernier mois de vie du leader socialiste ; même si le héros ne le suit pas dans ses déplacements, ils sont habilement évoqués. Mais les petits anachronismes, les explications farfelues et la reprise de légendes se succèdent. Le passage le plus déplorable est peut-être celui sur lequel se clôt l’ouvrage, où on rapporte qu’un pharmacien est quasiment coresponsable de la mort de Jaurès. Cette rumeur est dû au fait justement que se trouvèrent par hasard le député du Jura Georges Ponsot, le pharmacien Jules-Paul Guinepied (né à Brinon dans la Nièvre en 1881) et un chirurgien brésilien, tous les trois sortant d’un bureau d’un journal radical-socialiste « L’Ère nouvelle », non loin du café du Croissant. Jean Jaurès contre la barbarie de Nane et Jean-Luc Vézinet vulgarise bien l’ensemble de la vie de son personnage principal. L’avant-dernier chapitre s’intitule « L’homme de la paix » et commençant dès 1904 (Jaurès dans L’Humanité écrit un article qui évoque » l’inquiétude des guerres de demain »), cela permet de situer le conflit qui vient dans le prolongement de la Guerre russo-japonaise de 1905, de la Crise marocaine de la même année et de celle de 1911. Bien entendu son combat contre la Loi de trois ans est mentionné ainsi que la haine de la presse de droite pour ses positions pacifistes. Son assassinat est évoqué en une phrase. Mon père soldat de 14-18 voit le héros se revendiquer de Jean Jaurès dont l’assassinat est mentionné.

Suzie la Rebelle dans la grande guerre, Sophie Marvaud
Suzie la Rebelle dans la grande guerre, Sophie Marvaud

Rosa Luxemburg d’Anne Blanchard propose deux chapitres autour l’un du 15 juin 1914 et l’autre du 3 août 1914 qui permettent de saisir comment cette responsable de la social-démocratie allemande (née juive en Pologne russe) a tenté d’éviter la guerre. Les chapitres sept à neuf montrent l’incarcération de février 1915 à octobre 1918 de cette militante pacifiste puis la période au-delà qui se clôt par son décès sous les coups de policiers. Avec la famille Curie on a le second pôle de personnages féminins connus, Marie Curie et ses filles sont présentes dans la trilogie Suzie la rebelle de Sophie Marvaud et dans D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède. Dans le premier de ces titres, l’héroïne Suzie rencontre Hélène Brion, institutrice syndicaliste pacifiste à Pantin, au moment où le gouvernement de Georges Clemenceau sévit contre ce qu’il appelle « les défaitistes ». La petite Curie de Rafi Toumayan et Sébastien David montre Marie Curie arrivant au volant d’une petite curie, à savoir une camionnette équipée d’appareils pour pouvoir faire passer une radio aux blessés afin de localiser précisément les projectiles qu’ils ont reçus. Comme autre personnage ayant existé, nous avions déjà signalé la présence de Nicole Mangin.

Aujourd’hui jusqu’où introduire le doute sur le manichéisme du conflit ?

Les personnages négatifs sont quasiment toujours des officiers, sous-officiers et soldats français ayant des responsabilités particulières qui à l’époque étaient valorisées ; l’ennemi principal du poilu ce n’est quasiment plus jamais le soldat allemand (comme cent ans plus tôt) mais le militaire français qui fait du zèle dans cette guerre. Les méchants dans la série Bleu sont deux nettoyeurs de tranchée (avec Bleu le silence des armes et Bleu la nuit du Vengeur), un tireur d’élite (Bleu la dernière cible), un membre des services de renseignements (Bleu le piège de Douaumont).

Mon père, soldat de 14-18, Christophe Malavoy
Mon père, soldat de 14-18, Christophe Malavoy

Mon père soldat de 14-18 est sûrement l’ouvrage qui porte le plus la vision d’un adulte du XXIe siècle sur la Grande Guerre. La Charte de la liberté, que rédigent le héros et ses camarades est un galimatias d’anachronismes faussement juvéniles et parfois abscons, destinée à montrer que la jeunesse de l’époque baigne dans « la soif de liberté et d’amour ». L’on sait qu’elle était au contraire très réactive à la propagande patriotique.

Il est intéressant de noter que la figure de l’espion allemand (voire autrichien ou turc), si abondante dans la production pour la jeunesse entre 1914 et 1918 (voir Bécassine chez les Turcs ) a quasiment disparu. Ceci à une exception notable et très significative. Dans L’Horizon bleu de Dorothée Piatek, l’espion allemand est soldat sous l’uniforme français, il fait évader deux prisonniers du Reich après les avoir invités à un repas de Noël… Au-delà des invraisemblances successives, l’objectif est de montrer que cet espion est généreux, loyal, honnête… La seule chose que l’on ne sait guère, c’est ce qu’il apporte comme renseignements à son pays. Il tient à expliquer à un ami poilu, que ses activités ont failli faire périr juste avant et forcément provoquer des morts chez les Français[4] (évidemment pas signalés dans le texte), qu’il part parce que sa mission d’espion doit cesser. Plus tard lorsque ce dernier se sera retrouvé dans son pays, l’auteure évacue la réponse par l’affirmation dans la bouche d’un officier allemand que l’espion en question a rendu de grands services à l’Allemagne (page 80). Sont soupçonnées d’espionnage, en particulier parce que Polonaises, successivement Marie Curie et ses filles dans la trilogie Suzie la rebelle de Sophie Marvaud et dans D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède.

Moral d’acier et pluie de fer, Viviane Koenig
Moral d’acier et pluie de fer, Viviane Koenig

Moral d’acier et pluie de fer par Viviane Koenig initie le doute sur la culpabilité réelle de gens fusillés comme espion. Ce même ouvrage pose aussi la question du devenir des déserteurs en imposant comme automatique la sanction du peloton d’exécution (page 45), ce qui est loin de correspondre à la réalité (nombre de comptes-rendus de conseil de guerre le montrent).  Ici Viviane Koenig évoque des fraternisations à la Noël 1914 entre soldats allemands et soldats français ; ces actions cessent avec l’arrivée d’un colonel qui fait tirer sur l’ennemi. Les soldats qui ne voulaient plus se faire la guerre : Noël 1914 a évidemment pour sujet essentiel les fraternisations entre soldats anglais et allemands. Comme avec Camarades de Catherine Cuenca, où la fraternisation s’était produite dans un trou d’obus entre un Français et un Allemand, Éric Simard a prévu une rencontre de deux acteurs de cette trêve bien plus d’un demi-siècle après leur aventure. 11 novembre de Paul Dowswell montre également une fraternisation entre soldats allemands et anglais le 11 novembre au matin.

Mort pour rien ?, Guy Jimenes
Mort pour rien ?, Guy Jimenes

Dans Mort pour rien? de Guy Jimenes, on essaie de sensibiliser à l’inutilité du sacrifice du soldat en abordant la question de ceux qui sont morts le 11 novembre 1918. L’horizon bleu de Dorothée Piatek , étant un grand hymne à l’amitié des combattants des deux camps, il ne pouvait pas nous être épargné la scène de sympathie à Noël en première ligne avec une couche supplémentaire en direction des prisonniers allemands gardés au chaud ce jour-là pour leur offrir un festin.

Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche se donne pour objectif de faire comprendre « qu’est-ce qui peut amener un soldat courageux et généreux à fuir le combat et abandonner ses amis ? [5]». L’ouvrage se termine par un saut en 1929 où toute une famille de la région du Chemin des dames s’apprête à descendre en Provence pour retrouver le soldat déserteur qu’elle avait accueilli en 1917. Il s’y cacherait depuis douze ans… Et pourquoi le député (Ducros ?) se décarcasse-t-il en 1925 pour faire voter la loi d’amnistie ?

Les deux héros de Rendez-vous au chemin des dames d’Yves Pinguilly étaient ouvriers sur les chantiers navals de Nantes et si l’un est fusillé l’autre est condamné au bagne militaire en Algérie pour refus de se battre. Le chapitre quatre permet de citer la « Chanson de Craonne » qui sert pour annoncer le refus de monter en ligne de soldats. Dominique Legrand dans Déserteurs, tout en tâchant de faire saisir l’accumulation des raisons qui pouvaient pousser des hommes (dont ici un lieutenant de réserve) à déserter, situait les antagonismes franco-allemands des chefs d’état (mais non des peuples) sur la longue durée en commençant à Bouvines. Dans la mesure où les hommes quittent le front, la sanction du poteau d’exécution semble moins irréaliste que dans d’autres romans historiques.

Le journal d'Adèle, Paule du Bouchet
Le journal d’Adèle, Paule du Bouchet

Avec La marraine de guerre de Catherine Cuenca, on raconte comment au retour d’une permission, le personnage principal assiste à l’exécution de cinq soldats qui se sont mutinés. Paule Bouchet dans Le journal d’Adèle parle à plusieurs reprise de la désertion d’un soldat d’un village bourguignon voisin. Ce dernier a été arrêté en voulant passer en Italie en février 1918, ce qui n’aide pas à faire comprendre que ce pays est passé fin mai 1915 dans le camp des Alliés.

 

Conclusion

Ces récits sont là pour servir la vision que le grand public adulte d’aujourd’hui a de la Grande Guerre, avec sa sensibilité dans un univers où on entend mener des guerres avec zéro mort et face au contexte d’unité européenne. Dans ce contexte, le combattant n’est plus un héros mais au contraire sont valorisées assez souvent la fraternisation entre soldats ennemis, la rébellion contre les officiers et la désertion.

Quand on sait par exemple que L’Horizon bleu de Dorothée Piatek, où les anachronismes se ramassent à la pelle (de tranchée) est un des romans historiques de cette période les plus encensés par la critique, que Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche est qualifié de « huis clos original qui s’avère autant captivant que pédagogique », on se questionne sur les compétences de ceux qui commentent en France les romans historiques pour la jeunesse[6]. Les conditions dans lesquelles l’engrenage à la guerre se met en place, s’inspireraient plus de quelques pages inédites des Pieds-Nickelés s’en vont en guerre que d’un simple manuel d’histoire de collège. Ainsi page 168 du Dernier ami de Jaurès (qui à côté de ces pages de fiction propose des passages didactiques en italiques) lit-on cette accumulation d’affirmations fantaisistes :

« [nuit du 29 au 30 juillet] Mais voilà que les Allemands bougent enfin. En effet ? Guillaume II s’est rendu compte de l’emballement des évènements et il cherche à reprendre la main. Un conflit, soit, il n’est pas hostile à cela, mais un conflit localisé à la Serbie ! Il faut à tout prix éviter l’embrasement général, d’autant que le Kaiser vient de comprendre que les Anglais seraient du côté de ses ennemis ! L’Allemagne était certainement la plus forte face à la France et à la Russie, mais le tableau n’est plus le même si les Anglais sortent de leur neutralité. Il envoie un télégramme à Nicolas II lui demandant d’arrêter la mobilisation russe. Le tsar n’attend que cela. Ainsi donc, on peut encore éviter la guerre ! Il lit le télégramme du Kaiser à son ministre de la Guerre, Soukhomlinov, et lui demande d’arrêter la mobilisation. Mais celui-ci refuse au prétexte que c’est « techniquement impossible »[7]».

Ce livre, présenté dans une revue pédagogique, par un ancien professeur de littérature médiévale et auteur de livres parus pour la même maison d’édition que Le dernier ami de Jaurès, se voit qualifier de « roman historique fort bien documenté »…  Nous avons épargné ici à nos lecteurs, un assez long relevé des petits anachronismes qui jalonnent certains récits. Est assez récurrent et significatif que les auteurs aient une idée fausse sur la scolarité de leur héros, ils ne connaissent que le lycée et l’école communale amenant au certificat d’études. Ils ignorent ce qu’est un collège dans l’acceptation de l’époque et totalement ce qu’est une École primaire supérieure ou un cours complémentaire.

Il s’avère nécessaire dans les choix de faire confiance a priori, plutôt dans les titres d’éditeurs qui ont un large secteur de romans historiques comme Nathan, Oskar et Gallimard jeunesse ou à des auteurs qui ont commis plusieurs titres relevant de ce genre. Les romans historiques pour la jeunesse, sur la Première Guerre mondiale, ont dû d’abord passer par l’étape de déconstruction de la propagande patriotique de l’époque. Beaucoup d’auteurs sont par contre très loin d’avoir une idée de l’esprit de ceux qui, civils ou militaires, furent les acteurs de cette période. Les ressorts du conflit, les modes de vie de l’époque sont parfois largement ignorés[8]. Face à certains ouvrages, on se demande parfois si le nombre d’informations apportées équilibre celui des méconnaissances. Pour un écrivain, un minimum de compréhension de l’évolution du discours historiographique autour de la Grande Guerre est nécessaire. On a trop l’impression que nombre d’auteurs partent (« comme en 14 ») pour asséner au jeune lecteur leur vision simpliste de l’évènement.

Octave

Bibliographie : voir ici


 

[1] Y compris Le violoncelle poilu d’Hervé Mestron qui est en fait composé de quatre nouvelles sur cette période.

[2] Stéphane Audoin-Rouzeau. La Guerre des enfants 1914-1918.Paris : Armand Colin, 1993. Manon Pignot. Allons enfants de la patrie : Génération Grande Guerre. Paris : Seuil, 2012. Laurence Olivier-Messonnier. Guerre et littérature de jeunesse. L’Harmattan, 2012.

[3] Patrick Bousquet. Pages de gloire. Éditions Serpenoise, 2014. Page 4.

[4] On relève à cette occasion le dialogue bien peu littéraire et pas du tout pris dans l’argot du poilu : « Je ne te comprends pas, Gabriel, merde, j’ai failli perdre la vie pour tes conneries ! » (page 66)

[5] Le déserteur du chemin des dames de Serge Boëche. SEDRAP, 2011. Quatrième de couverture.

[6] Nous ne sommes pas le seul à poser cette question. Bertrand Solet, certainement l’auteur qui a produit le plus de romans historiques francophones pour la jeunesse du XXe siècle, souhaite une critique plus fournie et plus exigeante. Bertrand Solet. Une manne pour la jeunesse.TDC Le roman historique, n°876, avril 2004, page 21.

[7] Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub. L’École des loisirs, 2013. Page 168.

[8] Il faut ne jamais avoir cherché à se documenter sur l’esprit des acteurs de l’époque pour proposer dans L’Horizon bleu ce qu’écrit Dorothée Piatek et qualifie elle-même de « surréaliste » à la page 95. Cette amitié entre un soldat allemand espion dans l’armée française et le poilu Gabriel, l’attitude de la femme de ce dernier avec les officiers allemands sont proprement impossibles.


 

Bibliographie : romans historiques jeunesse sur la première guerre mondiale

Bibliographie limitée aux romans historiques, actuellement disponibles à l’état neuf chez les éditeurs, parus en Europe à l’origine (plus Une mission pour Vaillant, d’un éditeur canadien). Sont exclus les ouvrages qui n’ont pas été publiés pour les jeunes au départ, même si le titre a connu ensuite une édition commentée pour des élèves du secondaire comme La Vigie de Thierry Jonquet.

  • Pour lycéens : niveau 3. 
  • Pour collégiens : niveau 2.  
  • Pour Cours moyen et SEGPA : niveau1.  

1917-1919 Un frère d’Amérique de Philippe Barbeau et Christian Couty. Nathan, 2008. Niveau 1, 2.

La guerre d’Éliane de Philippe Barbeau. Oskar, 1998. Réédition 2014. Niveau 1, 2.

Souvenirs Cachés d’un Taxi de la Marne de Philippe Barbeau. Oskar, 2014. Niveau 1, 2.

Une mission pour Vaillant d’Alain M. Bergeron. Michel Quintin, 2004. Niveau 1.

Le cavalier démonté de Gisèle Bienne. L’École des loisirs, 2006. Niveau 3.

14-14 de Silène Edgar et Paul Beorn, Castelmore, 2014. Niveau 2, 3.

Rosa Luxemburg : Non aux frontières d’Anne Blanchard. Actes sud junoir, 2014. Niveau 3.

Le déserteur du Chemin des dames de Serge Boëche. SEDRAP, 2012. Niveau 1, 2.

Le journal d’Adèle (1914-1918) de Paule du Bouchet. Folio junior, 1995. Réédition 2004 et 2012. Niveau 1, 2.

La véritable histoire de Marcel soldat pendant la Première Guerre mondiale de Pascale Bouchié et Cléo Germain. Bayard, 2014. Niveau 1.

Bleu, chien soleil des tranchées de Patrick Bousquet. Édition Serpenoise, 2000. Édition du Quotidien, 2014. Niveau 1, 2.

Bleu, le silence des armes de Patrick Bousquet. Édition Serpenoise, 2004. Niveau 1, 2.

Bleu, la dernière cible de Patrick Bousquet. Édition Serpenoise, 2008. Niveau 1, 2.

Bleu, la nuit du vengeur de Patrick Bousquet. Édition Serpenoise, 2008. Niveau 1, 2.

Bleu, le piège de Douaumont de Patrick Bousquet. Édition Serpenoise, 2013. Niveau 1, 2.

Mon père est parti à la guerre de John Boyne.   Gallimard jeunesse, 2014. Niveau 1, 2.

Les fracassés de Patrick Bousquet. Édition Serpenoise, 2014. Niveau 1, 2.

Spirit Lake de Sylvie Brien. Gallimard, 2008. Niveau 3.

Le fils de mon père d’Évelyne Brisou-Pellen. Le livre de poche jeunesse, 2012. Niveau 1, 2.

La vie au bout des doigts d’Orianne Charpentier. Gallimard jeunesse, 2014. Niveau 2, 3.

Bonhomme de 14 d’Éric Chevreau, Oskar, 2014. Niveau 1, 2.

Mondiale boucherie d’Olivier Costes. Oskar, 2014. Niveau 3.

La marraine de guerre de Catherine Cuenca. Hachette, 2014. Édition originale, 2001. Niveau 1, 2.

Camarades de Catherine Cuenca. Labor, 2005. Niveau 1, 2.

Frères de guerre de Catherine Cuenca. Père Castor Flammarion, 2005. Niveau 1, 2.

Porté disparu ! de Catherine Cuenca. Oskar, 2009. Réédition 2011. Niveau 1, 2.

Le choix d’Adélie de Catherine Cuenca. Oskar, 2013. Niveau 1, 2.

Le secret du poilu de Catherine Cuenca, Oskar, 2014. Niveau 1, 2.

Au temps de … la guerre de 1914-1918, Mirliton chien de guerre de Catherine David, Nathan, 2009. Niveau 1.

Un petit regain d’enfer de Robert Deleuse. Seuil jeunesse, 1999. Niveau 3.

11 novembre de Paul Dowswell. Naïve, 2014. Niveau 3.

Passager clandestin de Michaël Foreman. Gallimard jeunesse, 2014. Édition originale, 2013. Niveau 1, 2.

Cris de Laurent Gaudé. Actes sud, 2001. Niveau 3.

La guerre de 14 n’a pas eu lieu d’Alain Grousset. Flammarion, 2014. Niveau 2, 3.

Le jour où on a retrouvé le soldat Botillon de Hervé Giraud. Thierry Magnier, 2013. Niveau 2.

À la gloire des petits héros de Gérard Hubert-Richou. SED, 2004. Niveau 1, 2.

Infirmière pendant la Première Guerre mondiale de Sophie Humann. Gallimard jeunesse, 2012. Niveau 1, 2.

Mort pour rien ? de Guy Jimenes. Oskar, 2008. Réédition 2013. Niveau 2.

Moral d’acier et pluie de fer de Viviane Koenig et Sylvain Bourrières. Oskar, 2014. Niveau 1, 2.

Souviens-toi de moi de Martine Laffon. Flammarion jeunesse, 2014. Niveau 2, 3.

Haumont 14-16 : l’or et la boue de Christophe Lambert. Nathan, 2002. Réédition, 2013. Niveau 1, 2.

Apollinaire, le poète combattant de Jean-Michel Lecat. Oskar, 2012. Niveau 2.

Déserteurs de Dominique Legrand. Nouveau monde, 2010. Niveau 3.

Nicole Mangin, médecin à Verdun de Catherine Le Quellenec. Oskar, 2014. Niveau 1, 2.

Mon père soldat de 14-18 de Christophe Malavoy. La Martinière jeunesse, 1997. Réédition, 2014. Niveau 2.

La vie tranchée de Bénédicte de Mazery. La Belle colère, 2008. Niveau 3.

Le violoncelle poilu d’Hervé Mestron. Syros, 2009. Réédition 2014. Trois nouvelles dans le même ouvrage. Niveau 1, 2, 3.

Cheval de guerre de Michael Morpurgo. Gallimard, 1997. Réédition 2008 et 2012. Niveau 1, 2.

Le secret de grand-père de Michael Morpurgo. Gallimard, 2001. Réédition 2013. Niveau 1, 2.

D’un combat à l’autre : les filles de Pierre et Marie Curie de Béatrice Nicomède. Nathan, 2014. Niveau 1, 2.

Les Godillots : le gourbi du sorcier d’Olier et Marko. Bamboo, 2014. Niveau 1.

Suzie la rebelle de Sophie Marvaud en 3 tomes. Nouveau monde jeunesse, 2008, 2008 et 2009. Niveau 3.

L’Horizon bleu de Dorothée Piatek. Seuil, 2002. Réédition 2012. A paru en album et en roman. Niveau 1, 2.

Verdun 1916 : un tirailleur en enfer d’Yves Pinguilly, Nathan, 2003. Réédition 2008. Niveau 1, 2.

Rendez-vous au chemin des dames d’Yves Pinguilly et Nathalie Girard. Oskar, 2007. Réédition 2013. Niveau 1, 2.

La fleur au fusil d’Yves Pinguilly. Oskar, 2014. Niveau 1, 2.

Petit-Jean des poilus, suivi de Lettres des tranchées de Michel Piquemal. SEDRAP, 2014. Niveau 1, 2.

La douane volante de François Place. Gallimard jeunesse, 2010. Niveau 3.

Il fallait survivre : Pierre et Louison deux adolescents dans la Grande Guerre de Ludmilla Podkosova. Oskar, 2014. Niveau 1, 2.

Promenade par temps de guerre d’Anne-Marie Pol. Hachette jeunesse, 1991. Réédition 2013. Niveau 1, 2.

Force noire de Guillaume Prévost. Gallimard jeunesse, 2014. Niveau 2.

Les soldats qui ne voulaient plus se faire la guerre Noël 1914 d’Éric Simard et Nathalie Girard. Oskar, 2005. Réédition 2008 et 2001. Niveau 1, 2.

Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub. L’école des loisirs, 2013. Niveau 2.

La guerre des petits soldats de Gérard Streiff. Flammarion jeunesse, 2003. Réédition 2011. Niveau 1, 2.

Il s’appelait comme moi de Jeanne Taboni-Misérazzi. Millefeuille, 2014. Niveau 1.

Il s’appelait… le soldat inconnu d’Arthur Ténor. Gallimard jeunesse, 2004. Niveau 1, 2.

Mémoire à vif d’un poilu de quinze ans d’Arthur Ténor. Gulf Stram, 2007. Réédition 2014. Niveau 1, 2.

La petite Curie de Rafi Toumayan. Éditions de l’évolution, 2013. Niveau 1, 2.

La dernière course de Pascal Vatinel. Actes sud junior, 2014. Niveau 3.

Jean Jaurès contre la barbarie de Nane Vézinet et Jean-Luc Vézinet. Oskar, 2014. Niveau 3.

 

Les romans historiques incontournables : le moyen-âge

En lisant divers témoignages et interviews d’historiens, quelque chose m’a frappé : c’est souvent à travers un des grands classiques de la littérature romanesque qu’ils ont découvert leur passion. Quels sont donc ces incontournables ?

Dans ce premier article sur les meilleurs romans historiques, je vous propose d’aborder le moyen-âge. Plus exactement, les trois romans présentés concernent les derniers siècles de cette période qui dura mille ans.

On pense avant tout à Ivanhoé de Walter Scott.

Ce roman, écrit il y a presque deux siècles (1819), met en scène l’Angleterre féodale du XIIe siècle. Wilfrid d’Ivanhoé deviendra l’archétype du héros chevaleresque au talent spectaculaire et au courage sans faille.

Cet ouvrage est accessible aux plus jeunes (dès 10 ans environ). C’est une excellente approche du monde médiéval : description du contexte sociétal, de la vie quotidienne, des armes ….

Autre pays et autre époque : Le nom de la rose de Umberto Eco (1980).

Le nom de la rose, Umberto Eco

L’action se déroule dans l’italie du XIVe siècle. Une intrigue policière en plein coeur d’un monastère met à l’épreuve les talents de Guillaume de Baskerville et de son novice Adso.

Contrairement à Ivanhoé, on n’est pas ici dans le chevaleresque ou l’imaginaire romanesque médiéval : univers confiné, influence de la spiritualité sur l’enquête, violence (légère). L’ouvrage s’adresse donc plutôt à un lectorat au moins adolescent, et en particulier aux amateurs de romans policiers.

Les rois maudits de Maurice Druon (1955 à 1977).

Les rois maudits, Maurice Druon

On approche ici d’un livre documentaire, tant l’action est basée sur les faits réels et décrit à merveille les événements politiques de la France du XIVe siècle.

Le premier tome (sur 7), Le Roi de fer, raconte la malédiction prononcée par Jacques De Molay, le dernier templier brûlé vif sur l’ordre de Philippe Le Bel, sur le roi et sa descendance ainsi que sur le Pape Clément V.

Parfois violent, mais remarquablement bien écrit et riche en apprentissages historiques, cette série passionnera les jeunes, mais aussi tous ceux qui voudront en savoir plus sur la branche des Valois et la genèse de la guerre de cent ans.

Ces trois ouvrages sont peut-être les romans historiques sur le moyen âge les plus connus, mais bien d’autres pourront vous passionner. Quelles sont vos suggestions ?