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Contes des frontières : Faire et défaire le passé en Ukraine

Contes des frontières : Faire et défaire le passé en Ukraine
Plein jour496 pages
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Avis de Patricia : "La Galicie aux Galiciens ! Mais qui sont les Galiciens ?"

Les premiers et peut-on dire les seuls à se sentir Galiciens étaient les juifs ; les autres habitants de la Galicie se disaient pour la plupart polonais ou ukrainiens. La carte de géographie historique explicative de la situation de la Galicie de 1772 à 1945 est présentée dans une taille inversement proportionnelle à son intérêt (des plus élevés). Bref elle est totalement illisible dans sa taille réelle et très fatigante à découvrir avec une loupe. Par ailleurs elle a été malheureusement simplifiée car en Galicie orientale il y avait, dans un ensemble de langue ukrainienne, des îlots polonais majoritaires dont le plus important était  Lwów (en polonais), ou Lemberg (en Allemand) ou Lvov (en russe) et aujourd'hui Lviv (en ukrainien). La ville comptait 235 000 habitants au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale, les Polonais et les juifs représentaient alors 90% de la population dans cette ville capitale de la province. Là comme dans plusieurs cités, il y avait également des Arméniens ainsi que des Allemands essentiellement catholiques (de familles installées parfois au Moyen Âge).  L’homme natif de Galicie le plus connu est sûrement l’écrivain Leopold von Sacher-Masoch. Il est arrivé au monde le 27 janvier 1836 à Lemberg dans une famille aux origines diverses.

On est là sur les zones frontalières que les grands empires allemand, austro-hongrois, russe et ottoman.  Depuis 1861 la Galicie est gérée par une Diète élue au suffrage restreint et le polonais y est reconnu comme langue administrative, judiciaire et scolaire dans cette province autrichienne.  Cependant en Ruthénie, la partie orientale de la Galicie, l’ukrainien se développe en  précisant son vocabulaire aussi bien scientifique que médiatique, en créant une langue littéraire et en proposant des ouvrages édités localement. En Ukraine de l'Est, au contraire, une succession de décrets tsaristes interdit l'usage de l'ukrainien au profit du russe.

La noblesse polonaise dirigeait cette province (d’environ 80 000 km2) et les Ukrainiens étaient essentiellement dans une agriculture où les terres appartenaient aux seigneurs polonais. D’ailleurs 500 000 Ukrainiens de Galicie émigrèrent vers les Amériques entre 1890 et 1914 du fait d’une certaine misère devenue proverbiale en langue polonaise (ceux qui allèrent au Canada passèrent le temps de la Grande Guerre dans des camps). Afin de mieux connaître les relations entre les diverses populations galiciennes on pourra se reporter également à  La Galicie au temps des Habsbourg (1772-1918) : Histoire, société, cultures en contact, un ouvrage paru aux Presses universitaires François-Rabelais en 2010,

Cet ouvrage est paru en édition originale en 2022 sous le titre de Tales of Barderlands. Making and unmaking the Galician past. L’auteur,  descendant d’une famille juive galicienne, dresse le portrait de personnes de sa famille ayant vécu dans cette région, mais élargit son étude à l’historique de l’ensemble des juifs galiciens. Omer Bartov explore le destin et les espoirs, les rêves et les désillusions des gens qui ont vécu là-bas à travers les faits historiques portés par leur mémoire parfois empreinte d’une petite dose d’imaginaire. 

Ces derniers souffrent à différentes époques de maltraitances en provenance soit des Polonais soit des Ukrainiens soit des Russes, et tout particulièrement des cosaques à l’identité changeante selon leur volonté d’indépendance et leurs alliances. Ces violences se produisent avant ou après l’occupation autrichienne ; cette dernière dure de 1772 à 1914 (les Russes pénètrent dans cette région durant la Première Guerre mondiale).  Les juifs représentaient 11% de la population de cette province en 1914, nombre d’entre eux avaient émigré d’Allemagne et Bohême en particulier à l’époque de la Peste noire dont on avait pu leur imputer la responsabilité quand d’autres étaient issus de populations de l’ancien royaume khazar. 

Omer Bartov se centre sur l’histoire de Buczacz en lui redonnant son nom polonais, sa dénomination étant en russe et ukrainien Boutchatch. La ville compte une population juive importante dès le XIIIe siècle, sert de refuge à d’autres israélites lors des récoltes cosaques du milieu du XVIIe siècle, est en 1672 le lieu de signature d’une paix provisoire entre la Pologne et les Ottomans, juifs et Polonais la défendent contre les Turcs dans les premières années où elle est devenue autrichienne, les Russes l’occupent d’août 1914 à juillet 1917, disputée ensuite entre Ukrainiens, Polonais et Russes elle ne devient polonaise qu’en septembre 1920.

À son entrée dans la république de Pologne elle compte plus de 50% de juifs, un quart de Polonais et 15% d’Ukrainiens.  La notable baisse en proportion des juifs (plus des deux tiers en 1880) est due au non-retour de certains juifs ayant fuit les troupes tsaristes ; pour Novy Targ en Galicie occidentale Léopold Trepper décrit très bien la peur de nouveaux pogroms qui s’emparent des israélites lorsque les soldats du tsar avancent en 1914.  L'Armée rouge libère Boutchatch le 21 juillet 1944 et cette cité est rattachée à la république soviétique d’Ukraine par Staline.

Omer Bartov cite à plusieurs occasions ce que dit  Schmuel Yosef Agnon de cette ville où il est né le 17 juillet 1888. Celui-ci est le seul écrivain de littérature hébraïque ayant remporté un prix Nobel de littérature.  Boutchatch  compte également comme personnalité juive, née et scolarisée jusqu’au lycée dans ses murs, David Heinrich Müller qui fut professeur de langues sémitiques à l’Université de Vienne  devenu conseiller impérial et fait baron à son décès en 1912. Omer Bartov évoque le bouillonnement religieux juif et ne manque pas en conséquence d’évoquer le développement du hassidisme (chapitre 5).

À travers l’environnement des juifs de Galicie c’est l’histoire de toute une région qui est évoquée pour les Temps modernes et l’Époque contemporaine. Des drames qui concernent les israélites et d’autres communautés y sont malheureusement contés comme le massacre près de Lviv au monastère alors catholique de Pidkami (Podkamień en polonais) à la mi-mars 1944 de centaines de Polonais par l’Armée insurrectionnelle ukrainienne de Stepan Andriïovytch de Bandera alliée de l’armée allemande (page 41). C’est aussi l’occasion de revisiter des œuvres littéraires comme Tarass Boulba de Gogol ou Le Conseil noir de Panteaïmon Koulich, pionnier de la littérature ukrainienne  au milieu du XIXe siècle avec Taras Hryhorovytch Chevtchenko (chapitre 3).  En fin d’ouvrage est également évoquée l’arrivée de grands-parents de l’auteur en Palestine.

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Patricia

Note globale :

Par - 165 avis déposés - lectrice régulière

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